C’est la question que se pose tout Français dans un restaurant américain, en général avant de se casser la tête sur quel burger il va prendre : pourquoi diable le plat principal s’appelle-t-il entrée ?
Il serait facile – et un peu de mauvaise foi – d’incriminer le niveau médiocre des Américains en langue. Regardons l’Histoire plutôt. Lorsque le terme entrée a été importé aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, par les chefs français qui officiaient dans les restaurants chics de New York comme Delmonico’s, il désignait le plat qui arrivait avant le rôti. À l’époque, les repas comptaient parfois jusqu’à quinze – quinze ! – plats. « L’entrée était souvent de la viande avec de la sauce, un ragoût », explique Paul Freedman, professeur d’Histoire à Yale et auteur d’un livre, The Ten Restaurants That Changed America paruen 2015.
Mais dans la première moitié du XXe siècle, la scène culinaire américaine change. La Prohibition et la crise de 1929 bouleversent les habitudes alimentaires. Les femmes, qui s’affirment, souhaitent apparaître plus sveltes. Et l’idée selon laquelle la richesse doit être associée aux rondeurs physiques décline. Conséquence : les menus à rallonge disparaissent. « Les menus sont devenus plus simples. On passe à des repas à cinq plats. Au début du XXe siècle, Escoffier cherche des manières de rendre les menus plus efficaces et le thème de la planification des menus commence à émerger » , explique Cathy Kaufman, chercheuse indépendante et responsable de l’association Culinary Historians of New York.
Les menus ont beau être raccourcis, le terme entrée reste sur les cartes. Pourquoi? « La volonté des restaurants de rester associés à la cuisine française, poursuit Cathy Kaufman. Le terme permet de hausser la qualité du restaurant dans l’esprit du client. »
Sauf que l’entrée ne veut plus dire la même chose : de simple plat de viande, il renvoie désormais à des plats de viande et de poisson, entre autres. Paradoxalement, Paul Freedman, de Yale, rappelle que l’entrée n’était pas, même en France, le premier plat du repas, contrairement à ce que peut laisser penser le terme. « L’entrée arrivait en troisième ligne, dit-il. En ce sens, l’actuelle entrée aux États-Unis est plus proche du sens originel du mot que l’entrée française. »
Selon l’expert, le mot entrée est d’ailleurs en danger, le modèle français du repas étant concurrencé par la multiplication des « petits plats » , comme les tapas, les soupes, les salades et autres snacks. « Paris ne définit plus la cuisine au niveau mondial, analyse-t-il. Aujourd’hui, la tendance est à la fragmentation des repas, à l’individualisation. »
Une première version de cette Question Bête a été publiée le 2 novembre 2014.
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On apprend toujours quelque chose en lisant French Morning; article intéressant. Je pense que même si “Paris ne définit plus la cuisine au niveau mondial”, le monde entier reste fasciné par le goût des plats français, le mode de cuisson, l’assaisonnement, l’extraordinaire combinaison du tout, la presentation des plats, etc. Lorsqu’il s’agit de se faire plaisir de manière exceptionnelle, les gens préféreraient de loin aller gouter un plat français que mexicain ou thaïlandais. Le problème de la cuisine française est son coût qui n’est pas nécessairement justifié. C’est un coût associé à une image de luxe mais ni aux ingredients, ni au temps de preparation, ni a la qualification du chef. Je pense que la survie de la place de la cuisine française depend de la volonté générale à prendre le risque d’en réduire le coût… D’ici là, vive la délicieuse cuisine française qu’on adore tous!