Forcément, dans une ville où le ratio entre célibataires est de 5 femmes pour 4 hommes, et même de 4 pour 3 dans le Bronx (les derniers chiffres du recensement de 2000 par comté ici), l’idée que des hommes se réunisent régulièrement à New York pour apprendre à draguer en groupe ne pouvait que m’intriguer.
Un échange d’emails plus tard, je suis invitée à la meet up party des Wingmen. Comme “ailier” en français, du nom donné à ces avions de chasse qui volent légèrement en retrait et sur le côté du leader, dans une patrouille d’aviation. La fonction d’un wingman est d’épauler le chef, en toute circonstance. Appliquée à la drague, l’idée est peu ou prou la même. On sort en patrouille, comprenez à deux ou trois potes. L’”ailier” est là pour permettre au “leader” de toucher sa “cible”. C’est le jargon, oui.
La réunion de mai a lieu dans une salle de répétition de danse, à la lumière blafarde, dans les sous-sols du Studio Theater sur la 24e Rue. Ils sont une petite dizaine de mecs, assis en cercle. Art Malov, le (jeune) dating coach, très casual dans sa chemise rose légèrement ouverte sur le torse et veste claire, préside. Histoire de mettre tout le monde à l’aise, il commence par leur demander ce qui les amène aux wingmen et ce qu’ils en attendent.
Glenn, le grand blond timide, qui ne lèvera pas les yeux de ses bouts de chaussures de la soirée, est prié de commencer. “Je sors souvent seul dans les bars, mais je ne sais pas comment m’y prendre avec les filles, j’ai surtout envie de rencontrer des copains de sortie”, dit-il d’une voix à peine audible. Son voisin, répondant au nom de code Entry, a le profil inverse. Crâne rasée, la quarantaine triomphante, chemise blanche et jeans, il a le crachoir facile. Son problème, il ne “sait pas mener”. Résultat, il s’est retrouvé dans plusieurs longues relations qu’il n’a jamais vraiment voulues. En clair, il aimerait “choisir” sa prochaine partenaire. Mais il veut des trucs, une routine, un mode d’emploi en gros.
Le but de la réunion est assez simple. Il s’agira de faire connaissance en 90 minutes, d’échanger quelques conseils pratiques sur la bonne approche à adopter avec une fille avant de sortir pour appliquer la théorie. Art Malov est formel: “draguer de jour en solo, c’est mieux. Le soir, si vous sortez seuls, vous passez pour un looser”. D’où le wingman, qui épaule le leader et surtout s’occupe de la ou des copines de la cible. “Les filles sortent en bande, comment en séduire une si personne ne s’occupe de celle restée sur la touche?”, explique Mandy, un divorcé de 38 ans, faussement décontracté dans son polo orange pétard, qui réapprend le b.a ba de la dating scene et qui finira par admettre qu’il a “vraiment perdu la main”.
Règle d’or des wingmen: pas question de viser la même cible, autant se mettre d’accord avant, le wingman est là pour le leader, il doit mettre en avant ses qualités, initier la conversation avec la ou les copines, histoire de “dégager” la voie pour son leader. Après, à ce dernier de faire le boulot. Art rappelle encore que le but est de repartir avec un numéro de téléphone.
“Et surtout, ne la placez pas sur un piédestal? OK? Soyez neutre, pas de compliments appuyés, pas de ‘je m’excuse’, mais pas de plaisanteries déplacées non plus”. Mine dubitative d’Entry, hochements de tête approbateurs de Mike, le benjamin de la soirée, 24 ans à son actif et une rupture récente qui l’a “anéanti”.
20h30. La réunion est finie, Art prend congé: “je les accompagne rarement, à eux de mettre en pratique”. Le temps de décider le plan de soirée, que Glenn, le timide, a disparu sans crier gare. “Dommage, il aurait vraiment besoin d’un pote lui”, dit Mike. Deux gars partent Uptown. Mike, Entry et Mandy optent pour le Lower East Side. C’est là que j’abandonne mon équipe, très désireuse se retrouver entre “ailiers” pour passer aux choses sérieuses.
Une semaine plus tard, j’ai tout de même droit au compte-rendu de Mike, dont la rupture n’est plus qu’un lointain souvenir. A leur arrivée au Piano Bar, Entry repère une fille, dans un groupe de trois. Il est décidé que Mike sera le wingman. “Coup de bol”, me dit-il avoir pensé, une des copines à “distraire” le branche.
Il agit exactement comme Art a dit. Il attaque les deux copines, se détourne ouvertement de la cible d’Entry, qui peut alors faire son “entrée”. La soirée suit son cours, Mike ne comprend pas ce qui s’est passé, sinon qu’Entry a foiré son coup. “Il a été trop direct, sa cible s’est barrée, Art nous avait dit de rester neutre”. Reste qu’il n’aura pas perdu son temps, lui. Le soir de notre téléphone, il a rendez-vous, seul cette fois, avec la copine de la cible.