C’est le sujet qui agite nos apéros zoom et autres débats de groupes Facebook: pourra-t-on rentrer en France cet été. Les familles devront-elles renoncer à leur traditionnel été au pays? Entre fermetures de frontières incertaines, transport aérien en plein désarroi et entreprises incapables de donner des consignes précises, difficile de prendre une décision.
Employé dans le marketing, Charles Gérand devait rentrer en France en juillet pour une série de mariages, dont celui de sa soeur. Il n’a pas encore annulé, mais plus les jours passent, plus il se dit que c’est ce qu’il devrait faire. “Je n’ai pas vu ma famille depuis un an. On avait planifié tout un circuit de visites avant et après ce mariage. C’est une situation de m***e“, dit-il. “Nous avons effectivement des questions en ce sens”, confirme Anne-Claire Legendre, Consule générale de France à New York. “Mais pour le moment il est bien trop tôt pour y répondre, compte-tenu des incertitudes qui pèsent ici comme en France sur les modalités et les dates du déconfinement. Les recommandations sont toujours à ce stade pour les résidents d’éviter au maximum les voyages internationaux et de ne se rendre en France que pour des raisons impératives”.
En annonçant que les frontières extérieures de Schengen resteraient fermées “jusqu’à nouvel ordre”, Emmanuel Macron a semé l’inquiétude parmi certains expatriés qui y ont vu le signe qu’ils ne pourraient pas rentrer cet été. En réalité, le retour en France pour les ressortissants européens est toujours -légalement- possible: l’interdiction d’entrer sur le territoire ne s’applique qu’aux non-ressortissants. Il suffit de se munir d’une attestation spécifique et de cocher “ressortissant de nationalité française” (les ressortissants européens non français doivent, pour être admis, avoir leur résidence principale en France, ou être en transit vers leur résidence principale).
Mais il y a bien d’autres obstacles à un éventuel retour estival: y-aura-t-il des vols? Voyager sera-t-il risqué? Le retour sera-t-il possible?
L’industrie du voyage est sans doute l’une des plus touchées par la crise, et surtout parmi celles qui mettront le plus longtemps à s’en remettre. Il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure le transport aérien aura repris cet été, mais une chose est sûre: les vols disponibles seront bien moins nombreux qu’à l’habitude. Le sort de plusieurs compagnies, dont Norwegian, est très incertain. Entre New York et Paris, deux nouvelles compagnies devaient se lancer en juin (Corsair et French Bee). Aucune n’a pour l’heure annoncé de report, mais retard ou annulation pure et simple sont attendus d’après plusieurs sources proches de chacune des compagnies. Les plus grandes compagnies, elles, ne remettront leurs avions en service que très progressivement.
Pour l’heure, l’inventaire disponible sur les sites de réservation reste important et les prix donc très intéressants (à partir de 300$ l’aller-retour en plein été entre New York et Paris, et à partir de 600$ entre la Californie et la France par exemple). “Mais il est peu probable que tous ces vols qu’on voit aujourd’hui en juillet ou août auront bien lieu, note Helane Becker, analyste spécialiste du secteur. Les compagnies vont adapter leur offre à la demande du moment”. Résultat, les prix devraient augmenter à l’approche de l’été. C’est en tout cas le pari de certains, comme Gabriel de La Rivière, ingénieur à Irvine (CA). D’ordinaire peu enclin à anticiper ses séjours en France, il va cette fois les prendre sans tarder, “de peur que les prix ne flambent au dernier moment, tout le monde voulant rentrer”. Mais par précaution, il a décidé de prendre des billets annulables ou modifiables. “Je prendrai ma décision en fonction du contexte une semaine avant la date du départ“, avoue celui qui, sans le mariage de sa sœur, ne prendrait pas le “risque” de rentrer au mois de juillet.
D’autres s’inquiètent plus du risque pour la santé que représente un voyage en avion. Plusieurs compagnies aériennes ont d’ores et déjà annoncé qu’elles rendraient obligatoire le port du masque pour tous les passagers. D’autres envisagent de laisser un siège sur deux vacant, entre mesures destinées à rassurer les candidats au voyage. “Pour moi, c’est vraiment ce qui me fait hésiter à rentrer en France, confie Isabelle Garry qui n’aimerait rien tant que de laisser le Texas derrière elle pour des vacances families en Bretagne. Après 3 mois avec 3 enfants en bas âge à la maison, je ne rêve que de les voir courir dans un grand jardin, mais pas au risque de leur santé évidemment”.
La principale question pour certains est celle de l’après-vacances et du retour sur le territoire américain. Pour l’heure, toute personne qui a séjourné depuis moins de 14 jours en Europe ne peut pénétrer aux Etats-Unis que si elle est citoyenne américaine ou titulaire de carte verte. C’est la principale des hésitations de Charles Gérand: titulaire d’un visa, il craint de rester “coincé” en France. “Je pourrai continuer à travailler de France, mais le décalage horaire rend les choses plus compliquées“. Son épouse, qui est architecte, est elle aussi sous visa. Hors de question pour elle aussi de prendre le risque de rester bloquée en France. “On n’a aucune certitude. On a des patrons conciliants, mais si on reste coincés en France pendant longtemps, on ne sait pas si un travail nous attendra à notre retour“, raconte le Français.
Cette même inquiétude a conduit certains employeurs à mettre en garde leur salariés. C’est le cas de plusieurs établissements scolaires français en Californie, qui ont averti leurs enseignants qu’un voyage en France, cet été, pourrait empêcher une reprise à la rentrée 2020. Selon un professeur du Lycée International de Los Angeles, “lors d’une réunion, on nous a expliqué que si tu n’es pas résident permanent (nombre d’entre eux viennent travailler aux Etats-Unis avec un J1), tu as de grandes chances de ne pas être réadmis sur le sol américain si tu sors cet été.” “Pour tous les visas, il est plus prudent de rester aux Etats-Unis cet été“, en déduit le professeur. Car aucune restriction, obligation, n’ont été émises par les établissements. Mais pour ces enseignants qui entendent poursuivre leur expatriation, ces “conseils” seront écoutés avec grande attention.