« Des goûts et des couleurs, on ne discute pas », dit le proverbe. Mais il y a une épice qui provoque des débats houleux surtout entre Frenchies et Américains : la cannelle. En arôme dans les yaourts, les bonbons ou les sirops, saupoudrée sur un cappuccino, en glaçage sur une pâtisserie, infusée dans une boisson non alcoolisée ou en assaisonnement dans une purée de patate douce, impossible d’y échapper. Le cinnamon diffuse depuis des décennies ses effluves camphrées aux États-Unis. Mais pourquoi tant d’engouement de ce côté de l’Atlantique ?
« Pas une recette à la pomme sans cannelle, c’est quasi une obsession », confirme Katherine Khodorowsky, historienne et sociologue de l’alimentation, auteur du livre Mes épices au quotidien. « Il y a l’influence du Mexique pas loin pour expliquer ce phénomène, les émigrants juifs également qui ont apporté avec eux leurs pâtisseries. Plus largement aux États-Unis, la cannelle symbolise les parfums et les saveurs de Noël ».
Par extension, cette épice chaude et légèrement piquante serait donc associée à des moments chaleureux, de partage et ce, depuis des générations. En ces temps incertain post-pandémie, la cannelle agirait comme une valeur refuge surtout associée à des plats réconfortants sucrés. Ainsi, l’un des desserts les plus vendus chez Starbucks est le fameux Cinnamon Roll, sorte de pâte à croissant, avec un glaçage au cream cheese, et bourré de l’épice controversée. Gras et écœurant à souhait, du foodporn à l’état pur, largement plébiscité. D’ailleurs, cette pâtisserie a sa propre chaîne de fastfood ! Cinnabon. Une enseigne qui compte près de 1200 magasins à travers le monde (principalement aux États-Unis).
La cannelle provient de l’arbuste Cinnamomum verum, le cannelier de Ceylan, majoritairement produit au Sri Lanka. Cette variété est largement préférée ici au cannelier de Chine (Cinnamomum cassia), plus âcre et moins parfumé. Son intérêt thérapeutique réside dans les propriétés antivirales et stimulantes de son huile essentielle. En Inde comme en Europe, la cannelle est utilisée pour « réchauffer » l’organisme en cas de refroidissement, souvent en association avec le gingembre. Elle stimule la circulation, et est aussi un remède classique en cas de troubles digestifs tels que nausées, vomissements et diarrhées, mais aussi contre les douleurs musculaires.
Aux États-Unis, de nombreuses études se sont intéressées à ses effets sur les différents types de diabètes, maladie très répandue dans la population américaine. La cannelle aurait une action bénéfique sur la glycémie grâce à son composé hydrosoluble, appelé methylhydroxychalcone polymère, le MHCP. Un composé « imitateur » de l’insuline qui multiplie jusqu’à 20 le métabolisme du glucose, le processus qui transforme le sucre en énergie. Une demi-cuillère par jour suffirait à voir sa glycémie baisser significativement.
De là à penser que nos amis Américains se soucient plus de leur santé que de leur estomac en avalant un Cinnamon Bun, il y a un raccourci que personne n’oserait prendre.
Dernière hypothèse : la cannelle est tout simplement liée à l’identité américaine. À force d’exposition répétée à la cannelle sur plusieurs générations, l’épice serait devenue un marqueur culturel. C’est ce que les chercheurs appellent « le goût acquis ». Une sorte de Madeleine de Proust à l’échelle d’une population. La réaction contrastée à la cannelle en dirait ainsi beaucoup plus sur la personne qui réagit que sur le goût de l’épice en elle-même.