Publié le 5 juillet. Mis à jour le 6 juillet après l’annonce par l’entreprise OceanGate de la « suspension de ses opérations commerciales ».
L’hystérie médiatique est retombée mais elle a laissé un goût amer dans le monde de l’exploration. La disparition du sous-marin Titan, le mois dernier, a déclenché une avalanche de critiques, aussi bien sur la nature de l’expédition – observation de l’épave du Titanic au fond de l’Atlantique – que sur les moyens extraordinaires déployés pour retrouver le submersible et ses cinq passagers dont trois millionnaires. Ces « riches amateurs de sensations fortes », embarqués dans un « voyage d’observation obscène » à 250.000 dollars, pour financer un « fantasme à la Jacques Cousteau de leur pilote », pouvait-on lire dans la presse. Des analyses « d’explorateurs de bibliothèque » a réagi Luc Hardy, l’un de ces aventuriers fortunés, agacé de ces attaques rédigées « à la va-vite ». Sans compter les moqueries de mauvais goût avant même la confirmation de la mort des cinq hommes et les résultats de l’enquête en cours, cet appétit démesuré à « bouffer du riche » (« eat the rich ») – le magazine Marianne n’hésitant pas à amalgamer disparition du Titan, accidents d’hélicoptère, de yacht et pénoplastie (chirurgie esthétique du pénis) ratée d’un riche diplomate israélo-belge…
Explorateur, photographe et capital-risqueur français du Connecticut, Luc Hardy avait été approché en 2017 pour faire partie du voyage à bord du Titan. Le Breton a suivi le projet avant même la construction du submersible. « J’ai reçu leur première brochure, se souvient-il. Leur premier sous-marin s’appelait Cyclope et sa coque était en acier. OceanGate n’est passé en mode iTech, fibre de carbone et autres, qu’après. Ils m’ont relancé plusieurs fois en l’espace de deux ans, mais le projet ne m’intéressait pas vraiment, j’étais parti sur autre chose… » – à l’époque, Luc Hardy était en expédition dans l’Arctique, sur les pas de l’explorateur George De Long.
Des offres comme celles du Titan, le Français en reçoit beaucoup. Dans le même ordre de prix, il pourrait s’envoler dans l’espace avec Space X pour vivre 2 minutes juste au dessus de l’atmosphère terrestre; pour 216.000 dollars, passer 3 semaines à gravir l’Everest avec réserve d’oxygène illimitée (Furtenbach Adventures); pour 750.000 dollars, plonger dans la fosse de Marianne à près de 11.000 mètres de profondeur dans le Pacifique (EYOS) comme le réalisateur James Cameron. « Le pur tourisme de l’extrême qui sert juste à se faire plaisir et à aider à financer de la technologie et des expéditions, ça m’intéresse moins que l’expérience, avec d’autres personnes, autour de quelque chose d’utile », explique Luc Hardy. Comme passer dix jours à bord de la station spatiale internationale avec 22 semaines de formation aux États-Unis et en Europe (Axiom Space qui fabrique la prochaine station pour remplacer l’ISS, en fin de vie, de la NASA). Beaucoup plus onéreux (plusieurs millions de dollars) mais un « vrai projet », estime l’explorateur : « ça va aider à financer le programme de la station et la recherche spatiale avec des expériences faites en permanence, de micro-gravité par exemple ».
Les moyens déployés pour secourir les cinq hommes ont également choqué. Jacques Attali – et d’autres – ont dénoncé l’attention, disproportionnée selon lui, portée au sous-marin plutôt qu’aux « bateaux de réfugiés qui coulent, dans l’indifférence générale » en Méditerranée – télescopage malheureux des deux actualités. Une polémique loin d’être nouvelle : l’homme d’affaires américain Steve Fossett avait provoqué l’indignation en 2007 lors de sa disparition au-dessus du Nevada, après avoir déclenché deux opérations de sauvetage d’urgence dans le Pacifique en 1998, l’une à 800 km de la Nouvelle Calédonie (un avion militaire français avait d’ailleurs été mobilisé) et une autre, quelques mois plus tard, au large d’Hawaï.
Faut-il prodiguer autant de moyens à un seul homme parce qu’il a pris des risques ? Pour Luc Hardy, pas d’hésitation possible : « Quand quelqu’un est perdu, que ce soit en montagne ou en mer, un petit bateau comme un yacht, tu te détournes et tu vas le sauver. C’est insensé d’entendre qu’il y a un choix à faire… », déplore-t-il, rappelant que les « riches peuvent aussi sauver des vies » : un milliardaire mexicain a détourné son yacht pour aller récupérer 106 migrants tombés d’un bateau de pêche, le 14 juin, au large des côtes grecques. « Il faut comprendre l’exploration, insiste Luc Hardy. Si tu es curieux et intéressé, tu explores, tu veux comprendre, innover, faire des choses, avancer… » Ce qu’il définit par la combinaison de passion/envie, temps et moyens financiers. « S’il y a les trois, j’y vais ».
Sans surprise, OceanGate a annoncé, jeudi 6 juillet, avoir « suspendu ses explorations et opérations commerciales ». Mais l’exploration des océans ne s’arrêtera pas avec le drame du Titan, pas plus que celle de l’espace ne s’est interrompue après la mort de trois astronautes dans l’incendie d’Apollo 1 en 1967, l’accident de la navette Challenger avec sept membres d’équipage à bord en 1986 et l’explosion de la super fusée Space X Starship le 20 avril dernier – un deuxième lancement est prévu d’ici à la fin du mois. « Comme après toutes les catastrophes, on va beaucoup apprendre de l’implosion du Titan », conclut Luc Hardy. Les occasions d’un nouvel emballement médiatique ne manqueront toutefois pas : en mars 2024, Space X devrait emmener le milliardaire japonais Yusaku Maezawa et ses sept invités, dont un chanteur, un youtubeur et un DJ, pour un voyage de plusieurs jours autour de la Lune.