Antonin Baudry travaillait sur un projet de “comédie au Moyen Âge” quand il a eu une autre idée, radicalement différente. Un commandant de la marine qui a adoré sa bande-dessinée Quai d’Orsay et le film qui en a découlé l’a invité à plonger dans un sous-marin “en touriste“. “Tout à coup, faire un film sur cet environnement est devenu une évidence. Ça me permettait de raconter plein de choses“, glisse-t-il.
Après une sortie applaudie par la critique en février en France, son film, “Le Chant du Loup” (“The Wolf’s Call), sort sur Netflix US le jeudi 20 juin. C’est le premier film d’Antonin Baudry en tant que réalisateur. Et pour une première, il n’a pas fait les choses à moitié: budget de 20 millions d’euros, tournage à bord de vrais sous-marins, casting qui comprend Omar Sy, Reda Kateb et Matthieu Kassovitz notamment… Le film raconte le duel que se livrent deux sous-marins français, le Titane et L’Effroyable: l’un qui menace de déclencher une guerre mondiale par un tir de missiles nucléaires basé sur une information erronée, l’autre tentant d’empêcher ce tir par tous les moyens.
Le film a été montré au French Institute Alliance Française de New York début juin devant une salle comble. Le réalisateur était en terrain conquis: dans une autre vie, il fut conseiller culturel de l’Ambassade de France dans la Grosse Pomme (de 2010 à 2014). “J’étais surpris par l’accueil positif du film en France. Le public français va voir des films d’action américains et des comédies françaises. Ce n’était pas une évidence qu’un film d’action français marcherait”, souligne l’ancien diplomate, fier de son incursion dans ce genre dominé par les Américains. “L’idée de se faire confisquer des images par Hollywood est insupportable. J’aime la culture américaine, mais je n’aime pas la culture française qui ne s’autorise pas à faire des choses car elles seraient la chasse-gardée d’Hollywood. C’est important de travailler sur notre propre vision du monde et de produire nos propres images“.
Le “chant du loup” fait référence au son que produit un sonar pour repérer les sous-marins qui rodent sous l’eau. Ce son est souvent synonyme d’attaque imminente. Le personnage principal du long-métrage, Chanteraide, joué par le jeune acteur François Civil, est “l’oreille d’or”, une personne dans chaque sous-marin chargée d’écouter les bruits qui entourent l’appareil pour identifier d’éventuelles menaces. C’est cette personne de l’ombre qui intervient quand les “veilleurs sonars” sont incapables de “qualifier” un son. “L’oreille d’or” peut ainsi, grâce à une écoute attentive, déterminer par exemple quels modèles de sous-marins se trouvent à proximité.
Antonin Baudry, qui n’avait jamais mis les pieds à bord d’un sous-marin avant d’y être invité, a découvert ce corps de métier lors de sa première immersion. “Je voyais un type très concentré vers lequel tout le monde se tournait“, se souvient-il, frappé de voir que la protection de machines aussi impressionnantes reposent parfois sur des choses aussi élémentaires que l’ouïe humaine. “Ce sont des machines très puissantes et très fragiles à la fois. C’est très touchant”.
Pour préparer ce thriller sous-marin, le réalisateur a passé une dizaine de jours en immersion (dans tous les sens du terme). “Je questionnais les membres d’équipage, en leur demandant ce qu’ils feraient dans telle ou telle situation. Je prenais beaucoup de notes, dit-il. Je me suis interdit de regarder des films de sous-marins pour éviter de tomber dans les clichés. Par exemple, dans tous les films, il y a un périscope. Or, quand on est sous l’eau, il n’y en n’a pas. Dans mon film, il n’y a pas de périscope“.
Il a filmé la plupart des scènes à bord de sous-marins réels pour reproduire la sensation de proximité et de confinement. Certains figurants sont de vrais sous-mariniers, des “héros de l’ombre qui ne peuvent même pas raconter ce qu’ils font sous l’eau à leur famille“. Le réalisateur a aussi eu la chance de filmer, depuis un hélicoptère, une remontée en surface de sous-marin, procédure compliquée que les cinéastes préfèrent traditionnellement reproduire en images de synthèse. Antonin Baudry y est parvenu avec un peu de chance: il n’avait que deux prises pour filmer cette manoeuvre délicate sans savoir ni quand ni où le monstre surgirait. À la seconde prise, il est miraculeusement apparu dans son cadre.
Malgré les contraintes du tournage, “la post-production a été le plus difficile”, en particulier le travail sur le son, omniprésent dans “Le chant du loup”. Une partie du travail de création a été fait au Skywalker Ranch, le grand studio de production sonore de George Lucas près de San Francisco. Chaque son y a été créé et manipulé pour créer des bruitages uniques. “Le royaume du son, c’est de la magie noire“, glisse Antonin Baudry.
Ceux qui connaissent l’ancien diplomate auront noté quelques allusions à sa vie d’avant: des sous-mariniers nommés d’après d’anciens collègues (dont l’ancien représentant de la France à l’ONU François Delattre), des logos d’Albertine qui trainent en référence à la librairie française qu’il a fondée à New York quand il dirigeait les Services culturels…
Mais cette ancienne vie, qu’il a quittée pour de bon après son départ de l’Institut Français en 2015, ne lui manque pas. “Dans la diplomatie, on peut avoir un impact. Dans une négociation, les choses dépendent de nous. Mais on fait partie d’une grande machine. Dans un film, on peut créer tout un univers“.