Dans les locaux de PeopleDoc, à Manhattan, il y a des meubles vert pomme, des noms de stations de métro sur les murs, et des photos de François Hollande serrant la main de Jonathan Benhamou.
En avril, le président de la République est en effet venu rencontrer ce patron de 32 ans, dont la start-up, créée à Paris, est devenue emblématique des succès de la French Tech à New York.
Arrivé aux Etats-Unis en 2014 pour vendre sa plateforme spécialisée dans la dématérialisation de documents RH, Jonathan Benhamou a connu, à New York, les montagnes russes. Mais il a su finalement provoquer sa chance. En particulier parce qu’il a quitté la France au bon moment.
1- “Le CEO doit absolument venir aux Etats-Unis”
S’il n’avait qu’un seul conseil à donner, ce serait celui-ci : pour qu’une start-up démarrée en France réussisse son expansion aux Etats-Unis, il faut que le fondateur s’y installe à plein temps. “Ici, quand c’est le CEO qui parle aux clients, c’est quelque chose de puissant, et pour nous, ça a été clé”, assène Jonathan Benhamou.
Il n’y a pas que cela. “C’est hyper important que le CEO comprenne le marché américain, les attentes des clients, et soit sur place pour résoudre les problèmes. Si tu ne viens pas, tu ne comprends pas pourquoi ça ne marche pas. Tu penseras toujours que le type que tu as nommé est nul. C’est quelque chose qu’il n’est pas possible de déléguer”, affirme Jonathan Benhamou. Qui, en revanche, a délégué à un “country manager” la gestion quotidienne de ses 90 salariés à Paris.
2- Ne pas venir trop tôt…
Jonathan Benhamou est loin de céder à la tentation du french bashing : pour lui, la France est un excellent pays pour lancer son entreprise. Et de citer tout ce qui rend cet écosystème attractif : les différentes aides publiques ou de la BPI, la facilité de recrutement des ingénieurs, la loyauté des salariés, le coût et la qualité de vie, la concurrence moins forte qu’ailleurs… “Bref, il est plus facile de faire son trou en France et d’arriver au seeds. Mais il ne faut pas y rester. C’est un bon pays pour commencer, pas pour se développer”, évalue Jonathan Benhamou, qui a créé sa start-up à Paris en 2007, à sa sortie d’HEC.
Selon lui, mieux vaut ne pas se précipiter et céder trop vite aux sirènes américaines. “Il faut partir à un moment stable, avoir un vrai revenu, une vraie traction, estime-t-il. Si une start-up a 500K de revenus en France et emploie, disons, 15 ou 20 personnes, le risque, si le CEO vient trop tôt aux USA, c’est que les gens en France se retrouvent livrés à eux-mêmes, qu’il y ait moins de motivation, et que toute la partie française s’effondre.” Surtout, il faut avoir les reins solides question finances, afin de payer tous les frais fixes, et offrir des salaires attractifs. Jonathan Benhamou, venu avec deux enfants en bas âge à New York, en sait quelque chose.
3- …ni trop tard
Jonathan Benhamou n’a pas de doutes là-dessus : les Etats-Unis sont un passage obligé pour la plupart des start-ups “tech”, en particulier celles qui, comme lui, produisent des logiciels. “Le risque, en restant trop longtemps en France, c’est de s’épuiser sur un marché assez petit et que le taux de croissance diminue au bout d’un moment. Il faut trouver son momentum.”
L’autre risque est de laisser passer sa chance de lever des fonds. “Venir aux Etats-Unis donne tout de suite plus de valeur à une boîte, estime-t-il. On parlait avec Accel Partners [un fonds d’investissement], et ils nous disaient : il faut que vous veniez aux Etats-Unis. Sinon, ils n’auraient pas investi. Alors, on est arrivé à New York, et les premiers mois, il ne se passait rien. Les semaines passaient, c’était vraiment dur. Et finalement, on a signé avec trois clients aux US. Ça a été le déclic grâce auquel on a pu boucler notre levée de fonds de 17 millions.”
4- S’attendre à des moments difficiles
Même lorsqu’une start-up marche déjà bien en France, venir aux Etats-Unis revient à tout reprendre à zéro. “Tu pars d’une feuille blanche”, prévient Jonathan Benhamou. “Je suis arrivé à New York, j’ai loué un bureau sans fenêtre, je n’avais pas de clients, pas d’amis, ma femme ne pouvait pas travailler ici car elle est dentiste et que son diplôme n’est pas reconnu.” Bref, la galère… Surtout avec un anglais “sans plus”. “J’avais un niveau pas terrible, enfin, j’en avais fait pendant toutes mes études, mais j’ai vraiment galéré pendant six mois. C’est un truc qu’on sous-estime.”
Forcément, il a fait de nombreuses erreurs. “Je me suis beaucoup trompé dans mes recrutements. Les codes aux Etats-Unis ne sont pas du tout les mêmes qu’en France” , affirme-t-il. Il s’est aussi pris de nombreuses portes, faute de compréhension de la culture américaine. “Il faut complètement changer son story-telling.”
5- Ne pas tout miser sur New York (ou la Silicon Valley)
Si c’était à refaire, Jonathan Benhamou s’interrogerait davantage sur la ville d’implantation. D’autant que PeopleDoc vend son logiciel partout aux Etats-Unis, et emploie de nombreux salariés à distance. “J’emploie 15 personnes dans les bureaux de New York, et 30 autres en remote, qui travaillent partout aux US. Ici, c’est hyper courant, et on a besoin de couvrir tout le territoire. Du coup, l’équation de venir à New York n’est pas forcémment très pertinente, car cela coûte ultra-cher, et que c’est la guerre pour recruter. Avec du recul, je pense qu’on aurait aussi pu envisager Philadelphie, DC, Austin ou la Floride.”