Le 8 novembre, les électeurs californiens se sont non seulement prononcés sur le prochain président, mais aussi sur 17 propositions, aussi diverses que l’interdiction des sacs plastiques, la légalisation de la marijuana et le retour du bilinguisme dans les écoles publiques. Cette dernière mesure, Proposition 58, a été adoptée avec 73,2% de suffrages positifs.
Loin de le voir comme la source d’une possible concurrence, les écoles privées françaises, qui ont le quasi monopole de l’enseignement bilingue dans cette langue, saluent le vote de manière unanime. “Je ne vois que du positif dans cette proposition”, s’enthousiasme Marie-Pierre Carlotti, directrice de l’école élémentaire à la French American International School de San Francisco. “Pour les enfants dont l’anglais n’est pas la langue parlée à la maison, un enseignement bilingue facilite leur intégration culturelle, et le niveau académique ne peut que s’élever. Pour les élèves anglophones, c’est l’opportunité de devenir multilingues et multiculturels.”
Selon Edwin Gerard, directeur des admissions du Lycée Français de Los Angeles, “ce vote prouve que le bilinguisme est rentré dans les moeurs, c’est une excellente nouvelle. Les enfants, dont les parents n’ont pas les moyens de payer une école privée, auront la possibilité de suivre un enseignement bilingue.”
Certains chefs d’établissements privés entrevoient déjà un renforcement des échanges entre les différentes écoles bilingues que favorisera la proposition 58. “On peut imaginer des passerelles éducatives entre enseignants ainsi que des opportunités évidentes pour nos élèves, pour qui les occasions de pratiquer le français se multiplient en dehors de la salle de classe, que ce soit au travers d’événements culturels ou sportifs en partenariat avec ces établissements”, explique Dominique Velociter, chef d’établissement par intérim à l’Ecole Bilingue de Berkeley.
Une offre éducative différente
Quelques écoles publiques proposaient déjà un enseignement bilingue, mais Prop 58 devrait faciliter la création de nouveaux programmes et leur développement. À en croire les établissements privés contactés, cela ne devrait pas précipiter une fuite des effectifs. Ils insistent sur ce qui fait la force de leur offre. “Les parents ne choisissent pas le Lycée français pour la langue mais pour notre programme basé sur les directives de l’Education nationale française, notre niveau académique reconnu” , affirme Edwin Gerard.
Un sentiment partagé par le Lycée Français de San Francisco: “Le bilinguisme peut servir de produit d’appel dans les écoles publiques, mais les moyens financiers dont elles bénéficient sont souvent limités”, rappelle Philippe Legendre, chef d’établissement. “Le recrutement d’enseignants pose également des questions: les écoles françaises sont homologuées, et par conséquent, nos enseignants doivent être détachés par l’Education nationale, c’est un gage de qualité.”
Face à cette « concurrence », les écoles privées mettent en avant les méthodes qui ont fait leurs preuves. “Nous n’enseignons pas une langue, mais dans une langue. Les élèves appréhendent également la culture française, que ce soit la littérature, l’histoire. Dans notre effort de bilinguisme, nous avons mis en place le programme Heure Bilingue en élémentaire, où la classe est enseignée en simultané dans les deux langues par un enseignant francophone et un enseignant anglophone, par exemple”, détaille Emmy Ansinelli, à la communication du Lycée International de Los Angeles (LILA).
Dans les différents campus de l’école, les élèves suivent le curriculum français, enseigné par des professeurs agréés par l’Education nationale française. Il sera difficile pour les écoles publiques de rivaliser sur ce point-là, les procédures pour expatrier un professeur étant lourdes et onéreuses.
Pourtant, cela ne fait pas peur à la charter school ISLA, qui ouvrira ses portes à Los Angeles, à la rentrée prochaine, avec un programme français/anglais. “Nous recevons des candidatures d’enseignants installés localement, mais nous allons aussi faire appel à un organisme afin de recruter des professeurs à l’étranger” , avance Gillian Bonacci, parent d’élève et membre du bureau de la charter school. “Cela va également encourager les professeurs à obtenir leur licence en langue étrangère.”
Une chose est sûre, la demande ne manque pas. Les écoles privées font le plein à chaque rentrée. “Nous avons commencé avec 7 élèves en 1978. Aujourd’hui, nous en avons plus de 1.070” , rappelle Emmy Ansinelli du Lycée International de Los Angeles. Reste à savoir à quel point les écoles publiques privilégieront l’espagnol au détriment du français. Certains parents trépignent d’impatience.
Hélène Labriet-Gross à San Francisco et Sandra Cazenave à Los Angeles