Pamela Druckerman ne m’a jamais croisée dans un Monoprix parisien ou un Whole Foods new-yorkais. Si la journaliste américaine l’avait fait, elle aurait vu mes enfants se rouler par terre pour obtenir un bonbon et n’aurait peut-être pas écrit que “les petits Français ne font pas de caprices dans les supermarchés”.
Elle n’a jamais vu non plus la grimace de dégoût sur le visage de mon fils de 5 ans devant une salade ou un plat de brocoli, ou elle aurait compris que nous aussi, les Françaises, nous avons du mal à faire avaler des légumes à notre chère progéniture. Malgré tout, “Bringing Up Bébé” révèle bon nombre de vérités quotidiennes sur la façon dont Américaines et Françaises élèvent leurs enfants. Et comme le fameux “Tiger Mother” d’Amy Chua, qui vantait l’éducation “à la chinoise” -sur le succés duquel l’éditeur cherche visiblement à capitaliser-, le livre de Pamela Druckerman est voué à la fois au statut de best seller et à devenir le sujet de conversation N°1 dans les playgrounds et autour des machines à café (jetez un coup d’oeil aux commentaires passionnés ici ou là pour en avoir le coeur net).
L’art de la pause
Pamela Druckerman assure avoir découvert “la sagesse de l’éducation à la française” à Paris. L’ancienne reporter du Wall Street journal raconte son initiation comme un roman autobiographique, suivant la chronologie de sa vie. C’est l’histoire d’une journaliste célibataire entièrement dévouée à son métier qui se fait brutalement licencier, épouse un Britannique –après des dates compliqués – et quitte Manhattan pour le suivre à Paris. De sa grossesse aux 6 ans de sa fille aînée Bean, en passant par la naissance de ses garçons jumeaux Leo et Joey et la crise de son couple qui en découle, Pamela Druckerman décrit minutieusement son long parcours de mère et de femme, en immersion complète.
Petit à petit, l’auteur fait tomber tous ses à priori de New-yorkaise pour se laisser conquérir par le mode de vie local. Et la conclusion est sévère pour ses compatriotes: nous, les Françaises, nous nous en sortons bien mieux. Nous ne cherchons pas à tout connaître de la grossesse – surtout pas tous ses désagréments et ses risques -, nous apprenons “naturellement” aux enfants à faire leurs nuits dès leurs 2 ou 3 mois, à attendre – nous ne répondons pas immédiatement à la moindre demande de nos enfants, nous attendons même quelques secondes avant de répondre à leurs questions, ce que Parmela Druckerman nomme “la Pause”. Nous leur apprenons à s’occuper par eux-mêmes, et, en imposant des limites strictes – “un cadre”, en français dans le texte -, à respecter la nourriture, les autres et surtout les adultes. Le tout avec peu, voire pas, de sentiment de culpabilité. Bref, nous sommes plus relaxes, plus féminines, moins techniques que les Américaines dans notre façon d’être mères, au bénéfice de nos enfants, plus polis, plus respectueux et, étonnamment, plus respectés en tant qu’êtres humains à part entière.
De l’origine de notre “coolitude”
Pamela Druckerman tente d’expliquer son constat par un bon sens naturel chez les Françaises d’aujourd’hui. Elle revient sur les origines de notre mode de pensée parentale à travers Jean-Jacques Rousseau ou encore Françoise Dolto, inconnue aux États-Unis. Si “Bringing Up Bébé” ne révèle rien de nouveau sur l’auteur d’ Émile et sur la papesse de la psychanalyse, il éclaire en revanche sur l’approche presque opposée qu’ont Américains et Français vis à vis du mode de garde collective. Pamela Druckerman raconte combien ses amies françaises l’ont félicitée après l’obtention d’une place en crèche, alors que ses proches, aux États-Unis, n’ont montré que méfiance et doutes, la poussant vers la culpabilité de “laisser” sa fille aux mains d’inconnus. Elle revient sur l’origine des day care: la France, pionnière au XIXème siècle en matière de crèches destinées à aider les femmes les plus pauvres à travailler, a exporté son modèle aux États-Unis. Ce mode de garde collective a gardé sa connotation de “working-class” outre-Atlantique, et les middle et upper classes américaines prévilégient aujourd’hui encore la garde à domicile pour les premières années de leurs enfants.
Humour et autodérision
Pamela Druckerman décrit un monde un peu idéal de la crèche française. J’ai pour ma part rencontré davantage de compréhension dans les day care américains – combien de fois, en France, les puéricultrices m’ont fait culpabiliser d’aller travailler pour un nez qui coule! Et le monde de la politesse n’est pas si grand en France. Dans le quartier chic où je vivais à Paris, les “Bonjour Madame” et les “s’il vous plaît” n’étaient pas toujours la règle, et j’ai vu bon nombre de parents menés par le bout du nez (moi comprise) par leurs chers bambins.
Pour autant, le livre de Pamela Druckerman m’a fait sourire, autant dans sa critique de l’esprit bobo du quartier de Park Slope à Brooklyn (“si l’overparenting était une compagnie aérienne, Park Slope serait son aéroport”), où j’ai vécu les plus incroyables expériences d’éducation américaine, que dans celle de l’esprit parisien – “Paris, l’un des endroits les moins sympathiques au monde”. Une vue très citadine de l’éducation à la française, avoue elle-même Pamela Druckerman, qui a le mérite de traiter tous ces sujets de la petite enfance avec beaucoup d’humour et un sens aigu de l’autodérision. Espérons que les lecteurs – lectrices – décèleront cette forme d’ironie qui leur avait, pour beaucoup, échappé dans le livre d’Amy Chua. En tout cas, pour l’éditeur de ces deux auteurs, Penguin Press, c’est un nouveau succès de librairie assuré.
Paraît le 7 février aux États-Unis: “Bringing Up Bébé: one American Mother discovers the wisdom of French Parenting”, 288 pages, Penguin Press.
Parce qu’à French Morning on adore faire les malins, voici nos articles publiés l’an dernier sur cette “Guerre des Moms” qui n’en finit pas:
–Pourquoi les mères françaises sont supérieures
-Pourquoi les mères américaines le sont aussi
-Mother Superiors (par Debra Ollivier, en anglais)
0 Responses
Élisabeth bien ecrit avec humour aussi j’aimerai bien faire votre rencontre. j;ai un playdate samedi voulex vous venir avec votre famille
a bientôt
Brigitte saint Ouen
Art dealer, mother of twins
Bien entendu, nous Français ne sommes pas dupes, la plupart des quinquagénaires savent bien que leurs petits-enfants sont “plus mal élevés” que leurs enfants, qu’ils passent plus de temps devant un écran, qu’ils mangent des pizza congelées, dorment avec leurs parents, ont tendance à négocier tout, etc…. Instant gratification. Néanmoins, en prenant un peu de perspective et de recul, en effet, les jeunes Français moyens savent que l’on ne garde pas son baseball cap à table, qu’on se tient droit pour dîner, que l’on n’est pas avachi sur un tabouret au comptoir, etc… Ceci étant bien relatif d’une culture à l’autre je vous l’accorde. D’autre part, des signaux faibles ici et là, en période de crise, montrent un incroyable regain pour la famille (livre de Luc Ferry : Famille je vous aime) de repli sur nos valeurs : gastronomie, convivialité, etc… Du retour du vrai dîner en famille. La série télévisée prime time : Fais pas ci, fais pas ça, rassemble 10 millions de Français chaque semaine. Au début, sous forme d’un documentaire, qui a évolué en vraie série. Deux familles — chacune représentant les valeurs de la gauche et de la droite — sont censées montrer que leurs valeurs respectives marchent mieux pour élever leurs enfants et prennent les téléspectateurs à témoin. Ce qui en ressort, c’est l’angoisse qu’ont les parents vis-à-vis de leurs enfants, et la tyrannie des enfants sur la vie du couple qu’il soit libéral ou conservateur. Les professionnnels jugent ces parents de gauche comme de droite comme “pas assez autoritaires” se faisant manipuler. Mais disons que globalement les valeurs françaises sont “encore là” dans les deux familles et je trouverais intéressant de voir l’adaptation américaine. On y retrouverait quand même les valeurs américaines sans aucun doute sur un nuancier familial allant du mid-west conservative au Bay Area liberal.
C’est incroyable le nombre d’émissions télévisées en France sur le grand retour de la gastronomie qui mettent en scène de jeunes chefs en herbe, ou des jeunes confirmés qui sont passionnés et très talentueux… de même, les cantines scolaires qui font le choix du bio et de l’éloge du goût dès le plus jeune âge… et rompent avec les Sodexo et autres infamies pour notre palais. Le retour du goût est bien là ! Il y a donc toujours un fonds culturel qui revient au galop malgré l’uniformisation générale des valeurs dans les pays développés, car finalement ces questions sont des problèmes de pays riche n’est-ce pas ?Ce qui est compliqué finalement pour “nous” qui avons un pied en France et l’autre pied en Amérique, c’est que nous sentons que la vérité est “au milieu”. Entre “The little engine that could”, the brave little toaster” qui sont du positive feedback bien américain, idéalistes, et les contes de Charles Perrault, Le chat de la voisine, Au clair de la lune… qui montrent que la vie n’est pas si facile que cela, insistant sur la réalité des difficultés, Notre côté sombre à nous Français, réaliste voire pessimiste. Finalement, est-ce faisable d’élever ses enfants bi-culturellement ? Surtout quand les cultures sont si paradoxales ?Est-ce si facile ? A long terme, une façon de procéder ne l’emporte-t-elle pas sur l’autre? Au pire, n’obtenons-nous pas une fêlure culturelle chez nos enfants ? Un écartèlement ?Mon essai gratuit sur http://www.baudry.com Etre Française et Américaine, l’interculturalité vécuese place du côté de la mère que l’on a tendance à toujours fustiger (Cf Le Mur, ce documentaire qui révèle qu’en France, quand votre enfant est autiste, c’est sûrement de la faute de la mère!). Quoiqu’elle dise ou fasse, la maman est toujours dans une double contrainte. si l’enfant réussit c’est grâce à son père, s’il rencontre des difficultés, c’est que la relation avec la mère est trop fusionnelle ou trop distante! On en revient toujours à la mère. En Amérique, on vous dira que c’est génétique et donc que le mode d’éducation n’a rien à voir. Le livre de Pamela Druckerman a le mérite de réactiver le sujet qui suscite toujours un déchaînement de passions car on touche à un point psychiquement chargé des deux côtés de l’Atlantique. Alors bien évidemment, la question n’est pas de savoir quels parents sont les meilleurs…. il faut creuser comme un archéologue dans notre culture. Dans les deux langues, ne dit-on pas “élever”, “to bring up” ” to raise children” ? Avec la meilleure intention des deux côté. Il y a donc bien une hiérarchie… les maisons américaines sont child-proofed frisant le ridicule, on a l’impression que ce sont les parents qui habitent chez leurs enfants et rampent… Henry James disait de son pays au début du 20ème siècle : This century will be the one of children”, annonçant la genuflexion parentale générale… j’ose espérer qu’une certaine élévation aura lieu au 21ème siècle. Comte-Sponville déclarait qu’il y a deux endroits où la démocratie ne marche pas : l’école et la famille… faisant suite à mai 68… vaste sujet indeed !
Désolée, erratum site internet :
http://www.pbaudry.com
Etre Française et Américaine, l’interculturalité
vécue
Vraiment on aura tout entendu!!! il faut une journaliste americaine pour nous raconter ces bobards!!! c’est vrai qu’elle ne sera jamais une maman francaise!!!!!
Les amis vous oubliez le charmant et tres intelligent livre: “FRENCH KIDS EAT EVERYTHING” de Karen Le Billon. Il faut le lire, c’est tres sympa. Elle a epousé un francais et a elevé ses enfants en France.
(Charles Jeannel)