On avait quitté Julien Faraut sur les courts de tennis. On le retrouve en 2021 sur les terrains de volley-ball.
Après “L’Empire de la perfection”, plongée visuelle dans la technique de John McEnroe, le Français signe “Les Sorcières de l’Orient”, un documentaire surprenant sur l’équipe japonaise de volley médaillée d’or des Jeux Olympiques de 1964 et toujours détentrice du record du nombre de victoires consécutives (258).
Il sort vendredi 9 juillet au Film Forum. “Au Japon, même les plus jeunes connaissent les joueuses sous leur surnom des Sorcières de l’Orient, à défaut de connaitre leurs noms individuellement. Même lointaine, c’est une référence culturelle assez présente”, souligne Julien Faraut, historien du cinéma et responsable des archives audiovisuelles de l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance).
Cette équipe hautement performante était composée d’ouvrières du textile, employées dans une grande usine au sud d’Osaka dans les années 50 et 60. Un modèle courant au Japon, où les entreprises investissent dans la formation des sportifs de demain à la manière des universités aux États-Unis ou du gouvernement en France. “Le volley était pratiqué dans l’entre-deux-guerres dans les entreprises japonaises, mais, après la seconde guerre mondiale, il y avait la volonté de bâtir une filière de haut niveau, explique Julien Faraut. C’est comme si chaque entreprise voulait déplacer leur concurrence industrielle au niveau sportif”.
Après une journée de travail, vers 16 heures, les joueuses participaient donc à plusieurs heures d’entrainement sous la baguette intraitable du coach Hirobumi Daimatsu, un ancien commandant militaire qui ne les laissaient pas repartir tant qu’elles n’avaient pas rempli les exercices demandés. Tant pis si cela devait durer jusqu’à l’aube. Des méthodes extrêmes qui pourraient facilement passer pour abusives aujourd’hui, mais qui ont permis à cette équipe déterminée d’accumuler les titres nationaux et internationaux, jusqu’à battre les éternelles rivales soviétiques aux JO de 1964. “Ce sont des athlètes de haut niveau qui n’ont pas le même sens de l’effort que nous, justifie Julien Faraut. Et il faut ajouter à cela le filtre japonais. Il y a une tradition de dureté dans les entrainements là-bas. Le rapport à l’effort et au travail est différent. Quand les sportifs s’engagent, ils savent qu’ils vont devoir souffrir pour réussir. Ce n’est pas propre au volley: les entrainements de baseball, par exemple, sont également très durs“.
Julien Faraut a découvert l’univers des “sorcières” après qu’un entraineur français à la retraite lui a apporté deux films 16 mm sur l’entrainement des joueuses. Le documentariste a été surpris par ce qu’il a vu: des sessions très intenses avec “beaucoup de mobilité“, révolutionnaire pour les années 1960. En se penchant sur l’histoire de l’équipe, il s’est aperçu que leur épopée avait inspiré de nombreux mangas et films d’animation centrés sur des volleyeuses, dont “Les Attaquantes” et un certain “Jeanne et Serge”, qui a fait le bonheur des téléspectateurs français en herbe dans les années 1980 et 1990.
Pour réaliser les “Sorcières de l’Orient”, un an de préparation a été nécessaire au Français, qui ne parle pas japonais. Le réalisateur s’est reposé sur Catherine Cadou, une interprète française basée au Japon qui traduit de nombreux films. Elle s’est occupée de faire le travail essentiel de mise en confiance et de pont culturel sans lequel le projet aurait capoté. “Au Japon, il est de coutume que la personne ayant fait une mise en relation continue à faire l’intermédiaire au delà du premier contact. Ainsi, tous nos échanges avec les joueuses ont transité pendant un an par la personne – un ancienne volleyeuse d’une génération différente – qui nous a mis en contact. Ce n’était pas très pratique, mais Catherine m’a dit que c’était nécessaire“. Lors de sa rencontre avec les joueuses en 2019, Julien Faraut n’a pas sorti sa caméra pour les filmer, se contentant d’enregistrer l’audio de leurs conversations pour éviter de les brusquer, et a pris le soin d’apporter des cadeaux, comme il est de coutume.
Le résultat est un petit bijou: un documentaire qui mêle archives, interviews et images animées. Le public est plongé dans la vie de l’usine Nichibo, les petites histoires de l’équipe, et l’ambiance des entrainements, avec notamment les lancers de balles interminables et mécaniques du coach Daimatsu, par ailleurs contremaitre au sein de l’usine. On y voit notamment le coach continuer à lancer des ballons sur une joueuse à terre, visiblement épuisée par l’effort. “Le Japon était certainement une société beaucoup plus misogyne et patriarcale que la nôtre à l’époque. En même temps, ils étaient les premiers à dire que les femmes étaient capables de faire des entrainements aussi intenses. D’ailleurs, Daimatsu avait dit à la presse qu’il les entrainait comme des hommes, explique le Français. Cela aurait été affreux de faire un film sur un coach auteur de maltraitances, mais en écoutant les joueuses, on se rend compte que cela s’est bien passé avec lui. Le fait que la plupart d’entre elles jouent encore au volley montre que cela n’a pas été une expérience traumatique“.
Le clou du documentaire est sans conteste la finale de 1964, l’année où le volley est devenu discipline olympique, et la victoire des “sorcières”, que Julien Faraut nous fait revivre en images d’archives. L’événement aurait dépassé 80% de part d’audience, selon le diffuseur national nippon. “Au début, les joueuses étaient surprises que leur histoire soit connue d’un Français“, raconte Julien Faraut. Grâce a lui, les New-Yorkais vont pouvoir la découvrir ou re-découvrir.