Dans une petite vitrine de verre, à peine plus grande qu’une boîte à chaussure, se trouve un corps féminin allongé, en tissu éponge rose. Pas de tête ni de bras, une jambe est amputée au genou. Au dessus de la poitrine généreuse et du ventre arrondi est suspendu, à la verticale, un couteau. La lame est bien aiguisée, prête à transpercer la chair de chiffon. Menace terrifiante, violence absolue.
Cette sculpture, intitulée femme-couteau et exposée au musée Neuberger de Purchase, au nord de New York, pourrait résumer à elle seule l’œuvre de Louise Bourgeois. Tout y est: la femme, la maternité, la sexualité, la souffrance silencieuse et le symbole phallique, dominateur, promesse de destruction et de douleur.
C’est dans son enfance que Louise Bourgeois a puisé sa force créatrice. Née le 25 décembre 1911 à Paris et élevée dans le sud de la capitale, à Choisy-le-Roi, elle fut traumatisée par l’infidélité de son père et par le silence résigné de sa mère. Ambiance étouffante dans l’atelier parental de restauration de tapisseries anciennes, entretenue par un secret de famille trop lourd à supporter. Par quête de structure et de stabilité, elle commence des études de mathématiques à la Sorbonne, mais par soif d’expression, elle s’oriente finalement vers l’art. Ses œuvres combinent cette dualité entre ordre (géométrique, architectural) et désordre (artistique): femmes-maisons, bustes en forme de portes et d’escaliers.
Elle quitte la France pour New York à 27 ans après avoir épousé l’historien d’art américain Robert Goldwater. Elle y rencontre les plus grands surréalistes, de Miro à Breton, et entame sa série de personnages en forme de totems, le moyen selon elle d’attirer les esprits de sa famille (son frère et sa soeur) et de ses amis restés en France et qui lui manquent. Naturalisée américaine en 1951, elle ne connaît la notoriété qu’à partir de 1974, avec l’une de ses œuvres les plus cruelles, La Destruction du Père. Le MoMA ne lui consacre sa première exposition qu’en 1982 et la France ne reconnaîtra son œuvre qu’à la fin des années 90. Le Centre Georges Pompidou lui a notamment consacré une impressionnante rétrospective en 2008, avec plus de 200 pièces présentées.
Aujourd’hui, Louise Bourgeois est mondialement connue par ses immenses sculptures arachnéennes, symbole de la mère protectrice, “aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable et indispensable qu’une araignée”, selon les mots de l’artiste. Elle aimait se lover sous ses mygales d’acier baptisées Maman. L’une d’elles accueillait les visiteurs à l’entrée du musée Guggenheim, il y a 2 ans, à New York. Maman est orpheline aujourd’hui. Louise Bourgeois est décédée lundi à Manhattan à l’âge de 98 ans, emportée par une crise cardiaque. Une mort brutale, violente… aurait-il pu en être autrement?