La campagne pour le premier tour de l’élection législative en Amérique du Nord touche à son terme. Les électeurs français des États-Unis et du Canada qui n’ont pas participé au vote par Internet pourront se prononcer dans le secret de l’isoloir ce samedi 4 juin (et non le 12 comme en métropole). L’adresse de votre bureau a dû vous être communiquée par courrier ou e-mail. French Morning fait le bilan de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas de ce premier tour.
Si l’on en croit les résultats de l’élection présidentielle, Roland Lescure (Ensemble!) et Florence Roger (NUPÉS) sont les mieux placés. Leurs candidats respectifs, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, sont arrivés en tête des suffrages des Français d’Amérique du Nord au premier tour en avril.
Bonne nouvelle supplémentaire pour Roland Lescure : dans les scrutins législatifs passés, ces derniers ont aussi porté au Palais Bourbon le ou la candidat.e du parti du président élu un mois plus tôt. En effet, la socialiste Corinne Narassiguin (dont l’élection a été invalidée pour cause d’irrégularités liées à son compte de campagne) et le député d’En Marche! ont bénéficié respectivement des victoires de François Hollande et d’Emmanuel Macron en 2012 et 2017.
Mais pour certains candidats à la législative actuelle, le match est loin d’être plié. « C’est une élection différente de la présidentielle pour plusieurs raisons », veut croire Alain Ouelhadj, le candidat du parti d’Eric Zemmour, Reconquête!. « D’abord, le député Lescure a brillé par son absence pendant son mandat. Ça a été mal ressenti. Il y a aussi de nouvelles formations politiques, comme la NUPÉS (union des partis et mouvements de gauche, ndr) et Reconquête!. D’autres, comme Les Républicains, se sont affaiblis. Il y a aura une redistribution des cartes ». « Lors des dernières régionales, le parti présidentiel a été largement battu, mais Emmanuel Macron s’est imposé au second tour de la course à l’Élysée. Chaque élection est une histoire différente », observe pour sa part Laisely Parat-Edom, la candidate du Parti Radical de Gauche (PRG).
Patrick Caraco, candidat de la droite, du centre et des Indépendants, assure lui aussi que l’élection législative sera plus « ouverte». « La présidentielle, c’est la présidentielle. Il y a eu un vote qui n’était pas nécessairement un soutien au président, mais une opposition aux extrêmes. »
Roland Lescure se garde de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Quand on lui demande si la course sera plus disputée qu’il y a cinq ans, le député répond qu’il n’en a « aucune idée ». « En 2017, il y avait eu un gros intérêt pour la présidentielle. Les électeurs voulaient donner une majorité à Emmanuel Macron et rencontrer son représentant sur le terrain. En 2022, la participation à la présidentielle était en recul en Amérique du Nord et les électeurs me connaissent mieux », concède-t-il.
Une chose est certaine : pour Patrick Caraco, conseiller des Français de l’étranger à Los Angeles, l’intérêt pour la campagne est « mitigé». « Ces élections ne vont pas déplacer les foules. Ça c’est sûr ! Ce n’est pas la présidentielle. Et beaucoup de personnes ne comprennent pas l’enjeu des législatives. »
Cette forte abstention anticipée n’est pas une surprise. La participation à l’élection des députés représentant les Français hors de France est restée basse depuis la création de la fonction en 2012. En 2017, sur 200 205 votants, 37 309 sont allés aux urnes – le vote par Internet n’étant pas encore proposé – soit une participation de 18,6%… Les chiffres du vote en ligne pour cette année laissent entrevoir une forte abstention. Seuls 21,8% des électeurs inscrits pour utiliser ce mode de scrutin (parce qu’ils avaient fourni adresse e-mail et numéro de téléphone à leur consulat) ont glissé un bulletin dans l’urne virtuelle. Ce sont 40 525 électeurs sur 186 081.
Les bugs constatés à l’ouverture de la plateforme de vote par Internet n’ont pas aidé. Ces dysfonctionnements, qui se sont produits malgré l’organisation de tests grandeur nature préalables, sont d’autant plus regrettables que ce mode de scrutin sera certainement le plus utilisé par les électeurs français hors de France. En effet, lors des élections consulaires de 2021, neuf électeurs d’Amérique du Nord sur dix avaient voté par Internet. « Trois-quart de mes interlocuteurs sont désabusés, déprimés, résignés. Ils ont jeté l’éponge de la politique. Ils ont abdiqué », regrette Emmanuel Itier, le candidat de Résistons!, le parti de Jean Lassalle.
Il redoute que la faible mobilisation ne profite aux grandes écuries politiques. « Au final, ça sera une histoire d’étiquette. On ne nous juge pas assez comme individus. On regarde trop les partis et leurs leaders alors qu’il faudrait élire des députés en mesure de résister à leur propre formation politique », estime-t-il.
L’histoire lui donne raison : lors des trois élections législatives précédentes, aucun candidat ne s’est hissé au second tour sans le soutien d’un parti politique d’envergure nationale. « Toute la schizophrénie des élections législatives, c’est qu’on élit localement quelqu’un qui va représenter la France au niveau national. C’est d’ailleurs assez peu lisible pour les électeurs, souligne Florence Roger. Cette campagne, c’est dix pour cent du job. Les électeurs dans l’isoloir physique ou électronique vont voir le parti de chaque candidat et voter en fonction de ça ».
Avec des correspondants dans toutes les circonscriptions consulaires, Roland Lescure peut compter sur une toile de militants et d’élus pour le porter au second tour. « Il y a cinq ans, nous n’avions pas d’élus consulaires. Maintenant, c’est le cas », observe-t-il. Florence Roger, elle, bénéficie du réseau nord-américain des partis et mouvements qui constituent la NUPÉS (Nouvelle Union populaire écologique et sociale). « Je suis passée d’une équipe de quinze Insoumis super motivés à cinquante personnes, dont des conseillers consulaires, des élus des Français de l’étranger… On fait des Zooms avec des personnes à Halifax au Canada ou sur la Côte ouest des États-Unis qui me font remonter les problématiques. Les membres d’Europe Ecologie Les Verts et du Parti socialiste, qui sont mieux implantés que La France Insoumise dans la circonscription, me font aussi part de leurs retours d’expérience», explique la candidate.
De son côté, Alain Ouelhadj met en avant les « 1 300 adhérents » de Reconquête! en Amérique du Nord pour justifier son optimisme. Il a également embauché Nicolas Druet, le candidat… du MoDem lors de la législative partielle de 2013, pour bénéficier de son expérience.
« Les candidats qui ne sont pas établis depuis longtemps dans la circonscription auront plus de problèmes », fait valoir Patrick Caraco, qui mise sur le réseau des Républicains et son ancrage d’élu local pour faire la différence. À l’image d’un autre conseiller des Français de l’étranger, le candidat indépendant de Floride, Franck Bondrille, il a fait le pari d’axer sa campagne sur les sujets qui touchent les Français de l’étranger (fiscalité, éducation, d’accès à la santé, retraites… ) plutôt que les thèmes nationaux (pouvoir d’achat, sécurité…), estimant que le député Lescure les a délaissés. « Il faut faire comprendre aux électeurs que, même si le député est un élu de la nation, c’est aussi un élu de terrain qui doit connaître les dossiers qui posent problème dans la circonscription », dit-il.
Tous les candidats qui se présentent aux législatives des Français hors de France, quelle que soit leur couleur politique, vous le diront : ce n’est pas une campagne facile, et la Covid n’a pas arrangé les choses. Ils doivent couvrir un territoire gigantesque, qui regroupe 240 000 électeurs, soit beaucoup plus que les circonscriptions électorales de métropole.
Chacun s’en remet donc à l’envoi de messages de campagne sur la LEC (Liste électorale consulaire), quitte à se faire insulter par des électeurs mécontents d’être ainsi « spammés », ou de posts sur les réseaux sociaux. C’est encore le moyen le moins coûteux pour permettre aux petits candidats, qui font campagne en partie sur leurs fonds personnels sans savoir s’ils seront remboursés, de se faire entendre. Franck Bondrille indique, par exemple, avoir déboursé 30 000 dollars de sa poche. « J’ai fait campagne avec une équipe de cinq personnes soit dix fois moins que la candidates NUPÉS, qui s’est vantée d avoir une équipe de cinquante personnes », raconte-t-il.
Il est vrai que rencontres virtuelles sont plus ou moins bien fréquentées. French Morning s’est parfois retrouvé dans des rendez-vous Zoom seul avec le candidat organisateur ou, dans le meilleur des cas, en compagnie de dizaines d’autres personnes. Un rendez-vous virtuel avec le sortant Roland Lescure a ainsi rassemblé quelque 140 personnes (dont quelques-uns de ses adversaires), mardi 24 mai.
Alain Ouelhadj assure, lui, avoir fait des réunions virtuelles en présence de « cinquante personnes » au début de la campagne. « L’intérêt va-t-il se traduire dans les urnes ? On verra ». D’autres encore se sont affichés avec des soutiens connus : l’économiste Gaël Giraud et les sénateurs Yan Chantrel et Mélanie Vogel pour Florence Roger, l’ancien ministre de la défense Hervé Morin pour Patrick Caraco… (La remplaçante de ce dernier, Séverine Picquet, a participé à un Zoom avec l’ex-ministre Michel Barnier et le sénateur Ronan Le Gleut).
Les candidats qui ont mis le plus de moyens se sont déplacés dans des villes avec une forte présence française, là encore avec des résultats de fréquentation très variables. Pour sa seconde campagne, Roland Lescure a ainsi choisi d’aller dans des recoins « plus reculés » de la circonscription et de « localiser » au maximum ses messages électroniques aux électeurs. « On a travaillé nos e-mails de manière assez intensive. Par exemple, quand on a lancé notre appel au vote par Internet, on a envoyé un message différent par État ou province. Les taux d’ouverture sont plus élevés ainsi, dit-il. Nous avons mené une campagne ‘glocale’ ».
Malgré le défi financier, Franck Bondrille a décidé pour sa part d’organiser des « permanences de deux heures », en présentiel, dans différentes villes de la circonscription, et de rencontrer des acteurs des communautés françaises locales (associations, chambres de commerce…) pour « faire passer mes messages », raconte le conseiller des Français de l’étranger. « J’aurais pu dépenser beaucoup moins en ne faisant que des Zooms et des e-mails. Mais faire des Zooms sans personnes derrière l’écran, c’est se moquer des électeurs et faire croire que l’on fait campagne ».
Revoir le débat organisé par French Morning avec les principaux candidats:
Retrouvez ici tous nos articles sur la législative 2022 en Amérique du Nord.
Tous les candidats à la législative en Amérique du Nord (par ordre alphabétique)
Jennifer ADAM, candidate Rassemblement National. Remplaçant Francis MASSON. Site de campagne
Isabelle AMAGLIO-TERISSE, candidate Les Radicaux de Gauche. Remplaçante Catherine DURIEZ GUY (son portrait). Site de campagne
Franck BONDRILLE, indépendant (son portrait). Remplaçante Cindy DELLAPINA. Site de campagne
Patrick CARACO, candidat de la Droite, du Centre et des Indépendants (son portrait). Remplaçante Séverine PICQUET. Site de campagne
Emmanuel ITIER, candidat Résistons! (son portrait). Remplaçante Natacha KATIC. Site de campagne
Gérard MICHON, candidat de l’Union des Centristes et Écologistes (son portrait). Remplaçante Amandine DUCELLIER. Site de campagne
Alain OUELHADJ, candidat Reconquête! (son portrait). Remplaçant Charles BERSON DIETSCH. Site de campagne
Roland LESCURE, député sortant et candidat de la majorité présidentielle Ensemble (son portrait). Remplaçant Christopher WEISSBERG. Site de campagne
Laisely PARAT-EDOM, candidate Parti Radical de Gauche (son portrait). Remplaçante Jacinthe BORDELAIS. Site de campagne
James REGIS (sans étiquette). Remplaçante Marleen EUGENE. Site de campagne
Yann REMINIAC, candidat Parti Breton (son portrait). Remplaçante Magalie JULIENNE. Site de campagne
Florence ROGER, candidate NUPES (son portrait). Remplaçant Oussama LARAICHI. Site de campagne