Nouveau rebondissement dans la saga sur le foie gras et la Californie, qui dure depuis 2004, année où la vente de produits “issus du gavage d’une volaille dans le but d’agrandir son foie” a été interdite par la loi. Mardi 14 juillet, soit le jour de la fête nationale française – “un bon timing” pour Ariane Daguin, responsable et créatrice de l’entreprise D’Artagnan à New York -, le juge de la Cour de district central de Californie, Stephen V. Wilson, a déterminé que la vente de foie gras n’était pas contraire à la loi si le vendeur se trouve hors de Californie et que le produit est livré sur le territoire de l’Etat par un tiers.
Il a ainsi répondu favorablement à une partie des demandes de producteurs américains et canadiens, et de restaurateurs, qui fustigeaient les dispositions de la loi interdisant la vente de foie gras produit hors de la Californie.
“Cette décision réaffirme que l’interdiction du foie gras est vraiment ridicule et frivole, et ne punit que les Californiens qui font du commerce de volaille et de palmipède”, note Ariane Daguin, surnommée “la reine du foie gras aux Etats-Unis”. Cette décision ne remet pas en cause l’interdiction de produire du foie gras en Californie.
Une victoire “symbolique” donc, dont les effets n’ont pas tardé. Ainsi, l’entreprise D’Artagnan a reçu plus de commandes émanant de la Californie les 15 et 16 juillet, que durant la saison des fêtes de Noël. “Ils ont voté avec leur portefeuille”, pour Ariane Daguin.
Une décision “positive”, abonde Sébastien Lesage, président de l’Association des éleveurs de canards et d’oies du Québec (AECOQ) qui est l’un des artisans de cette longue bataille judiciaire, avec le producteur Hudson Valley Foie Gras et le chef de Hot’s Kitchen (aujourd’hui fermé), Sean Chaney. “L’Etat ne pouvait pas empêcher d’autres Etats ou pays de vendre leurs produits, cela contredit la réglementation sur le libre marché des denrées.” Cette nouvelle n’est pas anecdotique, puisque la Californie représentait 20 % du marché pour les producteurs de foie gras au Québec.
Pour lui, le plus important reste le “message positif que la décision envoie pour la consommation du foie gras”, contre la mauvaise presse des lobbies et activistes. Ainsi, Sébastien Lesage tient à rappeler les mesures mises en place dans les fermes québécoises : “nos élevages sont encadrés par des associations de vétérinaires, notre guide des bonnes pratiques a été validé en 2018, on respecte le bien-être des animaux.” Il regrette que “le foie gras soit un symbole facile à attaquer”, alors qu’il ne représente qu’une petite industrie. Une industrie qui a perdu plus de 70 % de ses clients (principalement des restaurants haut de gamme) en raison de la crise sanitaire et des mesures de confinement.
Quid des restaurants californiens
Mais qu’est-ce que cette décision change concrètement pour les professionnels californiens ? “Ca ne change rien, ça reste un produit réservé aux connaisseurs”, répond Laurent Vrignaud, propriétaire de plusieurs restaurants Le Moulin dans Orange County. Celui qui fabrique du foie gras au torchon, à partir de foies importés, était empêché d’en vendre depuis janvier 2019. “Le foie gras est en ce moment (avec la Covid) le cadet de nos soucis.”
Malgré la confusion créée par cette décision, il est toujours illégal de proposer ce mets au menu des restaurants. Enfin, “rien n’est très clair”, fait remarquer Vincent Samarco, propriétaire du restaurant Belle Vie à Los Angeles. “Je vais regarder consciencieusement la loi, mais il me semble qu’il faut juste que le foie soit livré par une tierce partie, il y a une manière de le vendre en toute légalité. Je compte le remettre au menu dès que je peux”, lâche celui qui défend la gastronomie française.
Il reste toujours une solution qui n’a pas (encore) été réprimée et se pratique : les clients peuvent apporter leur foie gras et payer un chef pour le préparer.
Une bataille de gagnée, mais pas la guerre
Et “cette longue saga judiciaire n’est pas encore terminée”, fait remarquer Sébastien Lesage. Ce mets français avait été interdit en 2012, autorisé en 2015, puis à nouveau suspendu et restauré en 2017, avant d’être prohibé en 2019. “Nous sommes toujours en appel pour que cette “interdiction de produire dans l’Etat” soit supprimée”, assure Ariane Daguin.
Et elle a également une autre bataille en tête : contre le conseil municipal de New York qui a décidé de bannir “la vente et le stockage de certains produits avicoles dont les oiseaux issus du gavage”, à partir de 2022.
“La décision californienne montre aux New Yorkais qu’on ne se laisse pas faire et qu’on est en train de gagner”, argue-t-elle, rappelant leur victoire contre la ville de Chicago. “Ils n’ont aucune excuse pour prendre de pareille décision, et ils refusent nos invitations à la ferme pour vérifier le bien-être des animaux”, regrette-t-elle. “J’ai vu dans un article du Wall Street Journal que même l’USDA (département de l’Agriculture des Etats-Unis) va se battre à nos côtés. Ce sera plus simple car c’est un “abus de pouvoir” d’une municipalité.”
L’AECOQ, pour qui New York est un marché important, s’implique également en démarchant lobbies et conseillers municipaux pour empêcher ce “ban”. “Si cela ne suffit pas, nous irons en justice, il faut faire valoir l’Etat de droit”, plaide Sébastien Lesage, qui s’interroge, un peu désespéré : “Est-ce qu’on va pouvoir mettre fin à ce débat sans fin ?”