En plein débat sur la réforme bancaire aux États-Unis, le patron des Amériques de Crédit Agricole Corporate & Investment Bank, la banque d’affaires de la banque verte, nous reçoit, tout sourire, dans son bureau new-yorkais. Thierry Simon ne semble pas particulièrement soucieux. « Je suis moins inquiet des décisions de Washington que de celles de Bruxelles », s’explique-t-il. « Car la tendance européenne actuelle est d’être beaucoup plus sévère que les États-Unis. »
Thierry Simon sait de quoi il parle. Il a réalisé une partie de sa carrière dans des pays européens au sein du Crédit Lyonnais. Diplômé de Centrale Lille, il entre au Lyonnais en 1985 après 18 mois de coopération en Algérie. « Je cherchais une boîte internationale pour pouvoir bouger. J’ai choisi la banque car c’était clairement un secteur qui offrait le plus d’opportunités de voyager. » Souhaits exaucés: tout en menant un Executive MBA (HEC-CPA), il occupe différents postes en Écosse -patron à 29 ans-, Angleterre et Danemark. Des expériences qu’il qualifie de « fantastiques » … jusqu’aux difficultés du Lyonnais des années 90. Il est chargé de vendre la filiale danoise et rentre à Paris. Il intègre le groupe Crédit Agricole en 2004 lors du rachat du Crédit Lyonnais. La fusion des 2 banques d’investissement a donné naissance à Calyon – rebaptisée en février dernier Crédit Agricole CIB – dont Thierry Simon a pris la direction générale des Amériques, il y a tout juste 2 ans.
« Je suis arrivé aux États-Unis pour recentrer la banque sur son ADN: ses clients.» Thierry Simon reconnaît que la banque s’en est éloignée par le passé, d’où l’affaire Bierbaum, du nom de ce jeune trader de 26 ans, responsable en 2007 d’une perte de 230 millions d’euros pour Calyon. Une tempête interne avant la crise financière mondiale. Thierry Simon rejoint son poste new-yorkais en plein marasme économique. Il doit licencier 20% des effectifs aux États-Unis et fermer le bureau de Los Angeles. Aujourd’hui, 1.300 personnes, soit 10% des effectifs mondiaux, travaillent à New York et dans les bureaux de Chicago (bureau historique du Crédit Agricole), Dallas et Houston. « Et nous embauchons à nouveau », se réjouit Thierry Simon. Selon les derniers résultats du groupe, la banque d’affaires renoue avec les bénéfices, 157 millions d’euros au dernier trimestre (au niveau mondial), et ce, malgré la crise grecque. « Nous avons une exposition au risque limitée en Grèce et la majorité de l’investissement est dans le shipping financing, qui marche bien dans le contexte actuel », explique-t-il.
Pas vraiment le temps de se réjouir des bons chiffres: le Crédit Agricole, à l’instar de 7 autres banques européennes et américaines, est dans le collimateur de la justice américaine, révèle le New York Times le 13 mai dernier. Le procureur général de New York a ouvert une enquête pour savoir si, en 2008, ces banques n’auraient pas fourni aux agences de notation des informations erronées sur leurs titres hypothécaires. Mais sur cette affaire, le banquier se contentera d’un “no comment”.
Malgré tout, le patron de la banque d’affaires à New York ne perd pas son enthousiasme. «Tous les matins, vous devez vous intéresser à un client différent et à un business différent, c’est passionnant! » Thierry Simon se dit investi d’une mission: celle de « pousser les feux du Crédit Agricole sur les différents marchés ». Avec un point fort: le financement de projets ou financements structurés. Une niche pour les banques françaises. La banque verte vient ainsi de faciliter une ligne de crédit de 375 millions de dollars pour cinq fermes éoliennes détenues par Duke Energy dans le Wyoming, le Colorado et en Pennsylvanie. Elle est également intervenue dans le montage financier d’Astoria Energy II, un projet de construction et d’exploitation d’une nouvelle centrale de gaz naturel dans la région métropolitaine de New York. Cette centrale, dont la construction devrait s’achever l’an prochain, fournira de l’électricité aux clients de la New York Power Authority (NYPA). « Dans les secteurs des transports, des infrastructures et de l’énergie, les entreprises françaises ont un boulevard devant elles », analyse Thierry Simon, confiant dans la reprise américaine. Avant d’ajouter: « notre banque représente moins de 1% des parts de marché aux États-Unis, mais c’est un marché tellement colossal, une telle échelle, que les chiffres sont considérables! »
Pour se ressourcer, le dirigeant français avoue faire un peu d’exercices – jogging dans Central Park, tennis, planche à voile. Mais la botte secrète de ce grand amateur de ski, c’est son chalet dans les Alpes. Une photo grand format de la demeure familiale trône dans l’encablure de l’une des fenêtres de son bureau. On le sent très attaché à la France. L’un de ses quatre enfants, sa fille artiste, vit à Paris. Et à New York, Thierry Simon est très actif au sein des conseils d’administration d’organisations francophones (FIAF, chambre de commerce, Maison Française de Columbia…). L’occasion de partager son expérience. « À l’étranger, on n’est pas chez soi. Il faut écouter, comprendre. On ne peut pas imposer sa façon de faire ». Au cœur de la finance mondiale, on le croit volontiers.