Chez les Jacob, on n’aime pas être catalogué. Quand on demande à Irène si elle arrête le cinéma pour se consacrer à la chanson, elle répond immédiatement: “Non, la musique m’a toujours accompagnée.” Louis Malle lui a en effet donné son premier rôle dans “Au revoir les enfants”, en 1984, parce qu’elle savait jouer au piano. La musique était essentielle dans “La Double Vie de Véronique” et “Trois Couleurs: Rouge” de Krzystof Kielowski. Elle a chanté pour le théâtre et pour des copains. “J’ai toujours eu envie d’écrire un album avec mon frère”.
Francis, lui, est guitariste “de jazz” lit-on souvent. Là encore, pas question de le classer dans un seul genre musical. “En fait, j’utilise des sonorités de part le monde: africaines, sud-américaines, asiatiques, françaises...” Pas étonnant donc que leur premier album soit inclassable.
Deleuze en Amérique
Sorti en France l’an dernier chez Universal, “Je sais nager” est une invitation au voyage, dans tous les sens du terme: balades sur différents continents, du Togo à Sumatra, de Paris à New York. Mais aussi voyage dans la vie de tous les jours, faite de quotidien – le métro avec “Au fond de toi”, “Henri” est une scène de ménage – et de pensées philosophiques. Quatre chansons ont été inspirées de Gilles Deleuze. “J’étais allée à l’une de ses conférences et j’étais éblouie par sa façon de s’exprimer, si simple, pour transmettre des concepts complexes”. Irène a pris des notes et “Je Sais Nager” (titre de l’album et de la troisième chanson) est né, ainsi que trois autres chansons: “Les Corps les plus simples”, “Et mon essence à moi” et “Ne serait-y pas?” Les textes ont été proposés à la famille Deleuze qui, souhaitant prolonger le travail du philosophe, a accepté de donner les droits aux Jacob.
“Les Américains ne vont peut-être pas comprendre les mots, mais seront sensibles aux rythmes et à la poésie”, estime Francis Jacob. La première chanson a une résonance toute particulière ici: “Jihad et Cruzada” raconte l’histoire d’amour d’un Afro-américain musulman et d’une hispanique catholique, qui:
“Dans les brumes d’un petit matin,
En septembre deux mille un,
(…) partirent en lune de miel,
Dans un petit coin du ciel.”
Ecrite par Francis Jacob, cette chanson est un hommage aux victimes des attentats à New York. “Il n’y a que dans cette ville où l’on trouve ce brassage des cultures. Je rencontre des artistes de partout. On a une dizaine de nationalités différentes sur les seize musiciens qui ont participé à l’album!”
Les Jacob ont toujours eu un lien très fort avec les États-Unis. Ils y ont vécu depuis leur petite enfance, suivant leur père physicien dans les couloirs d’Harvard à Boston – leur frère aîné, scientifique, y travaille aujourd’hui – ou encore en Californie et à Chicago. “On connaît bien tous les plus grands centres scientifiques du pays!” plaisante Francis. Ensemble, le frère et la soeur ont habité quatre années dans le quartier de Chelsea à Manhattan, lorsqu’Irène prenait des cours à l’Actor Studio. Francis a décidé de rester, Irène est rentrée en France mais est revenue plusieurs fois pour le cinéma – « US Marshals » aux côtés de Tommy Lee Jones ou encore “La Vie intérieure de Martin Frost”, sous la direction de Paul Auster. Elle a également joué au Lincoln Center. “J’ai plusieurs couches de vie ici. À chaque fois que je reviens, de nouveaux souvenirs surgissent.”
Elle les partage aujourd’hui avec son mari et ses deux enfants, venus l’accompagner dans sa tournée de promotion outre-Atlantique, dont les points d’orgue seront le concert au Joe’s Pub, le 3 mai, et la sortie de l’album chez Sunnyside le 8 mai. “Ils ne sont pas là mais il y a deux invités dans cet album, qu’on entend dans les deux dernières chansons” précise Irène: “Vincent Delerm: on se connaît bien, il m’avait invitée à chanter avec lui. Je l’ai invité à “faire l’acteur” –il parle dans “Ne serait-il pas?” La seconde est Agnès Jaoui “l’amie” de longue date. “On était chez elle, on lui a fait écouter nos chansons et elle a craqué sur Communion, aux sonorités argentines”. Les deux femmes chantent une version “féminine” de ce titre.
Irène Jacob entend poursuivre sa double carrière: “J’ai deux projets cinéma en France, mais avec Francis, on pense déjà au deuxième album”. Le frère et la soeur se regardent, complices. Qu’on se le dise: pas question d’enfermer les Jacob dans des cases, ou des casiers de mer… ils savent nager.
“Je sais Nager”, sortie aux États-Unis le 8 mai 2012, Sunnyside.
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