Juliette Binoche, Anne Fontaine, Marion Cotillard, Jean Dujardin : ils font partie des votants de l’Académie des arts et sciences du cinéma (membres AMPAS) qui organise et gère le déroulement des Oscars depuis 1929. Mais d’autres noms français moins connus ont eu l’honneur d’intégrer ce cercle fermé (de plus de 7.000 votants tout de même).
Pour Pierre Perifel, chef animateur chez DreamWorks et membre depuis quelques mois, cette adhésion résulte d’une “opportunité”. Le Français a été coopté par deux personnalités déjà membres dans le même secteur d’activité, et a fait valoir des références comme technicien animateur pour “Kung Fu Panda 3”, ainsi qu’un prix aux Annie Awards (les Oscars de l’animation). Peuvent également postuler à l’Académie les personnes qui ont reçu une nomination.“Avant, c’était plus difficile de joindre ce club exclusif”, se remémore Jacques Stroweis, superviseur d’effets spéciaux-réalisateur et membre depuis 20 ans, qui regrettait “un processus de type politique se profilant derrière une candidature technique”.
Très critiquée, l’Académie avait notamment avoué en 2016 que ses membres votants étaient composés de blancs à 93 % et d’hommes à 76 %, pour un âge médian de 63 ans. Cette année, l’Académie a recruté 774 nouveaux membres, dont 39% de femmes et 30% de personnes “non blanches”. “Elle essaie de se diversifier en terme d’ethnicité”, argue Pierre Perifel. Une démarche que reconnaît Marie-France Drouin (connue sous le nom de “Marie France” dans le milieu), votante depuis 2002 et créatrice de costumes (“et pas costumière”, insiste-t-elle), qui a été encouragée à rendre l’Académie plus internationale. “En tant que Française, c’est mon rôle”.
La créatrice aux dreadlocks auburn n’aurait jamais imaginé intégrer ce cercle. “Normalement les créateurs qui s’occupent de comédies, comme moi, ne sont pas pris au sérieux. Mais Deborah Nadoolman Landis, qui était à la tête du “Guild” des créateurs de costumes, connaît ce genre, et voulait du sang neuf”, raconte la Française qui a notamment travaillé sur “Purple Rain” d’Albert Magnoli.
Une mission à temps plein
Une fois l’Académie intégrée, les votants sont livrés à eux mêmes, sans obligation aucune. Bien qu’enjoué à l’idée de faire partie des rangs de “la plus prestigieuse institution” du cinéma, Pierre Perifel confie avoir “été dépassé par les événements”. “Je n’ai pas fait mon job correctement cette année, je n’ai même pas assisté aux réunions d’informations”, lâche celui qui était accaparé par la production d’un court-métrage et n’a pas visionné la centaine de films qu’il a reçus sur DVD. Juste le temps d’assister aux “Q & A” (questions-réponses) de “Dunkerque” et “Blade Runner”, ainsi que de regarder les films retenus dans la catégorie “best movies”. “Ca marche au bouche-à-oreille. Des collègues du milieu m’avaient recommandé leurs préférences. Mais début mars, je vais tout revisionner”.
“C’est peut-être une question d’âge. Quand on vieillit, on a moins de projets professionnels et donc, plus de temps pour aller aux projections”, s’aventure Marie France, dans l’industrie cinématographique depuis les années 80. “Cela demande beaucoup de temps et de disponibilités pour accomplir cette tâche de manière professionnelle”, appuie Jacques Stroweis.
Ainsi, la créatrice française, qui fait partie du comité spécial de sélection des films étrangers, visionne une grande majorité des films,”et de préférence sur grand écran“. “J’ai vu “The Square” de Ruben Ostlund (son favori) trois fois“, ajoute celle qui n’a vu “que” 40 films étrangers, mobilisée sur un tournage en décembre.
Une campagne pour les votants
De par son ancienneté, et son implication, Marie France connaît parfaitement les rouages de cette course aux Oscars. Ainsi, le film “120 battements par minute”, qu’elle regrette de ne pas voir nommé chez les films étrangers, “n’a pas fait assez de promotion pour l’Académie”. “Il faut organiser des projections personnelles et des réceptions pour les membres. Cela a lieu de fin septembre à début janvier, et les votants adorent ça, cela les pousse à voir le film. Ils ne vont pas parcourir la ville pour voir un film étranger ! ” Même son de cloche chez le superviseur d’effets spéciaux Jacques Stroweis, qui va généralement à la rencontre des réalisateurs et acteurs pour “comprendre les intentions et les restrictions d’un film”. Mais, pas cette année, où il est passé à côté des projections, bloqué par un tournage en Chine.
Dans ces réceptions, les membres de l’AMPAS ont l’occasion de discuter avec les équipes. Ainsi, la créatrice française a été épatée par Margot Robbie, co-productrice de “I, Tonya” : “elle a refusé de vendre le film à Netflix car elle voulait une sortie en salles. J’admire ça.” Au travers de ces discussions informelles, les équipes marquent des points.
Le conseil aux Français
Une fois la “short list” publiée (le 23 janvier), commence le second tour pour lequel les votants sont invités à départager les films des 24 catégories. “Nous ne sommes pas obligés de voter, comme pour une présidentielle. Mais on nous le rappelle tous les jours par appels, messages et e-mails”, détaille-t-elle, précisant “ne pas participer aux catégories de “Sound editing” et “Sound mixing” faute de connaissances en la matière”.
Alors que le dénouement approche, tous spéculent sur les récompenses. Pierre Perifel avoue qu’il aimerait bien voir le court “Garden Party” triompher : “non pas parce qu’ils sont Français, mais parce que ce sont des étudiants et pour la qualité de leur travail”. Un vote partagé par Marie France, qui l’a trouvé “absolument génial”. La Française a quelques pronostics, tels que “Phantom Thread” de Paul Thomas Anderson ou “le sublime et subtil” “Shape of Water” de Guillermo del Toro pour la création des costumes. “Je regrette que les films qui se passent à des périodes contemporaines aient moins de chance, car ils sont moins spectaculaires.” Et elle déplore également le manque de compatriotes dans son domaine de la création de costumes.
Etre membre de l’Académie ouvre une perspective alléchante : assister à la cérémonie, qui se déroulera au Dolby Theatre, le dimanche 4 mars. Pour cela, il faut tenter sa chance, l’attribution des places restantes étant soumise à une loterie. Cette année, Pierre Perifel foulera le tapis rouge avec sa femme. Et il aimerait y revenir très vite pour une nomination. “Etre nommé, même si on ne gagne pas, c’est comme aller aux Jeux olympiques”, compare-t-il.
D’autres ont déjà eu ce luxe, comme Jacques Stroweis en 1995 avec le film “True Lies” de James Cameron pour lequel le Français était nommé dans la catégorie “meilleurs effets visuels”. “C’est un moment exubérant, surtout le trajet en limousine”, raconte Jacques Stroweis, qui a trouvé la soirée longue tout de même. “On est franchement mieux à la suivre de son divan.”