“C’est un vrai problème“. Le moment que redoutait David Roger Pardo, président de FIPA (French International Program Association), est arrivé.
Le 28 juillet, l’Assemblée nationale a voté la fin de la réserve parlementaire, une enveloppe d’environ 130 millions d’euros qui permettait aux députés et sénateurs de financer des initiatives de leur choix dans leur circonscription. Même si elle dispose d’autres sources de financement, FIPA, l’association gestionnaire de programmes de français dans cinq écoles de Miami, a largement profité de cette aide ces dernières années. Pendant son mandat, l’ancien député des Français d’Amérique du Nord Frédéric Lefebvre, pour ne citer que lui, a débloqué quelque 55.000 euros, selon les données disponibles sur le site de l’Assemblée nationale.
Cette somme a permis, selon M. Pardo, de financer la venue de trois enseignants de France, leur logement, leur transport et le matériel pédagogique utilisés par les 800 enfants inscrits aux programmes. “Je dépense 100 à 120.000 dollars par an pour faire venir ces enseignants, précise-t-il. Cette aide nous a permis de tenir et d’offrir un enseignement bilingue à des enfants d’expatriés, mais aussi des Américains, des Argentins… Nous avons 99% de réussite au baccalauréat (…) Si je n’ai plus cet argent, ça va être une catastrophe“.
David Roger Pardo n’est pas le seul responsable associatif inquiet de la disparition de la réserve. De nombreuses entités (associations de parents d’élèves français, festivals, alliances françaises, clubs francophones) bénéficiaient de ses fonds aux Etats-Unis et au Canada, et dans le reste du monde. Pendant l’ensemble de son mandat, Frédéric Lefebvre a ainsi accordé 41.000 euros au Chelsea Film Festival, un festival de cinéma new-yorkais lancé par une Française, 5.000 euros au Comité tricolore à Washington DC, association de solidarité aidant les Français démunis, ou encore plusieurs milliers de dollars à des alliances françaises nord-américaines et des lycées français.
L’inquiétude est renforcée par l’annonce récente de coupes budgétaires affectant les missions du Quai d’Orsay.
D’après Jean Isseri, président de l’Union française de Montréal, une association d’entraide vieille de 130 ans qui touchait en moyenne “17.000 euros par an” de la réserve parlementaire, ce dispositif représentait “de l’oxygène qui permettait de respirer pendant les périodes de crise“. Une grande partie de la subvention était affectée au règlement des frais liés au bâtiment de 160 ans où se trouve l’association et à l’accompagnement de Français en difficulté.
Jean Isseri comprend la nécessité de “réviser” les conditions d’attribution de la réserve parlementaire, critiquée pour son opacité, mais regrette sa “suppression subite“. “Une solution de remplacement prendra du temps à mettre en place, dit-il. Ce n’est pas l’absence de 17.000 euros qui va nous empêcher de travailler, mais, ceci dit, nous en avons besoin. C’était un soulagement formidable“.
Disposition “inconstitutionnelle”
“J’entends l’argument que la réserve parlementaire pouvait alimenter le clientélisme, mais il aurait fallu une réforme de petite ampleur pour que le caractère corrupteur du mécanisme soit éliminé”, affirme Gabrielle Durana, fondatrice et présidente d’Education Française Bay Area (EFBA), une association qui propose dans la région de San Francisco des cours de français aux enfants scolarisés dans le système public américain.
L’argent de la réserve parlementaire – autour de 40.000 euros provenant de plusieurs parlementaires – a permis à l’organisation de créer et développer les cahiers d’exercices Virgule, conçus pour assister les enseignants de français dans leurs activités d’apprentissage. Gabrielle Durana s’était tournée vers les députés et sénateurs représentant les Français de l’étranger pour épauler le projet après avoir essuyé le refus de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger).
“La réserve parlementaire était un circuit de décision court. Il n’en existe pas beaucoup pour financer des projets à l’étranger. On peut demander une subvention à l’administration, mais quand elle ne s’en occupe pas, quel est le recours ? On peut se débrouiller ou aller voir les élus“.
Aujourd’hui, les cahiers Virgule sont téléchargés “3.500 à 5.000 fois par mois“, précise Gabrielle Durana, mais la suppression de la réserve parlementaire va obliger l’association à trouver des fonds ailleurs pour poursuivre le développement de la collection. “On va lever des fonds d’une manière ou d’une autre. Les enfants ont besoin de matériel pédagogique. C’est tout un tissu fragile de solidarité qui s’en va avec la réserve parlementaire“.
Le député LREM des Français d’Amérique du Nord, Roland Lescure, qui a voté pour la suppression du dispositif, a expliqué sa décision lors d’une intervention en séance publique. Contacté pour un commentaire, il a renvoyé French Morning vers un communiqué publié sur sa page Facebook dans lequel il dénonce une pratique “inconstitutionnelle” qui “sort des attributions et du rôle des députés tel qu’il est défini par l’article 24 de notre Constitution « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Comme je l’ai mentionné pendant mon intervention,« il ne dépense pas »“.
L’élu assure qu’il veillera que “la somme des réserves parlementaires des députes et sénateurs des Français de l’étranger soient ré-attribuées pour financer les initiatives de nos compatriotes à l’étranger“. Un rendez-vous, lundi 31 juillet, avec le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devait permettre d’aborder cette question notamment, selon le député.
Gabrielle Durana craint que les fonds soient attribués depuis Paris, loin du terrain, par des “gens qui ne sont pas responsables devant les électeurs“. “Quand on s’adresse à des personnes qui sont redevables devant les électeurs, les choses bougent. Ce qui n’est pas le cas quand on a affaire à la technostructure“.