Les chiffres sont effrayants. Près de 1800 restaurants ont définitivement fermé leur porte depuis mars et le début de l’épidémie de la Covid-19 à New York. Face à la baisse des cas cet été et la mise en place de mesures comme la distanciation sociale et le port du masque, la ville a d’abord autorisé les commerces de bouche à rouvrir uniquement en extérieur début juillet, puis à 25% de taux de remplissage à l’intérieur depuis le 30 septembre.
“C’est une mesure très insuffisante”, estime Max Guichard, manager du restaurant Troquet à SoHo. “On ne peut asseoir que 12 personnes en salle. Ce n’est pas rentable”. “C’est mieux que rien”, estime quant à lui Damien Frey, patron de La Cigogne, un restaurant français aux touches alsaciennes du quartier de Cobble Hill à Brooklyn. “On aimerait tous réacueillir 100% de nos clients, ou au moins 50%. Mais est-ce que les gens sont prêts à revenir manger en intérieur avec tous ces foyers épidémiques qui se développent à nouveau? Je ne pense pas”. Etienne DeYans a fait le choix courageux d’ouvrir en pleine pandémie, en octobre, dans le Flatiron District. Son restaurant, Gypsy Rose, dispose de plusieurs espaces intérieurs avec un bar et une salle à manger d’une dizaine de tables, mais aussi d’une terrasse de soixante places. “On ne sait pas où on en sera dans les prochaines semaines, alors je suis en train d’investir pour couvrir et chauffer ma terrasse”, explique ce Congolais né en Belgique.
Miser sur “l’outdoor dining”
Comme Etienne DeYans, les restaurateurs français misent sur leur terrasse pour survivre, malgré la chute des températures et l’hiver en toile de fond. Ils sont accompagnés dans cette tâche par la ville qui a autorisé la prolongation de “l’outdoor dining” jusqu’à nouvel ordre. “On est en train de faire évoluer notre terrasse avec des plaques en bois et un toit rigide en taule”, détaille Max Guichard, dont le restaurant dispose de 36 places en extérieur à l’angle de Lafayette St et Grand St. “Là encore on a des contraintes car on doit laisser au moins 50% de l’espace ouvert”. “Moi j‘ai anticipé en achetant des bouteilles de propane dès le mois d’août. Les prix ont quadruplé depuis”, lâche Damien Frey. La ville de New York n’autorise les chauffages au gaz que sur les trottoirs, alors que les chauffages électriques peuvent être installés sur les terrasses sur la rue. “Il faut sortir pas mal d’argent encore, en sachant que les prix des matières premières ont explosé. Il faut notamment compter 150$ pour une vitre de séparation entre les tables. Quand il y a encore du stock ! J’ai eu un mal fou à trouver des guirlandes lumineuses par exemple”, ajoute Etienne DeYans. L’entrepreneur est en train d’installer des grandes tentes sur 26th St entre 5 et 6th Ave où il dispose de sa propre terrasse.
Tous n’ont pas eu la chance de pouvoir ouvrir une terrasse cependant. C’est le cas de Pascaline Lepeltier, sommelière et co-manager du restaurant Racines, à Tribeca. “La partie du bloc où on se trouve est sur la ligne des bus de la MTA. On a la malchance d’être là. Si on était à 300m, ça changerait tout“, se désole-t-elle. Son établissement vient de rouvrir le 15 octobre, après six mois sans un seul client. “On a essayé de survivre comme on pouvait. On s’est essayé au take-out et à la vente à emporter, on a vendu du vin, négocié notre loyer à la baisse. Heureusement qu’on a fini par toucher le PPP”. Le PPP, pour “Paycheck Protection Program”, est un programme d’aide sous forme de prêt non remboursable proposé aux entreprises pour maintenir leurs employés et leurs salaires malgré la crise. Le restaurant Troquet en a également bénéficié. “Sans ça, on aurait mis la clé sous la porte”, admet Max Guichard.
Une autre mesure censée aider les restaurateurs a été votée par la mairie de New York le 16 septembre, la “COVID-19 Recovery Charge”. Cette surcharge non-obligatoire de 10% peut être ajoutée à la note du client par les restaurants. “C’est l’invention la plus stupide possible”, commente Damien Frey. “Ce n’est surement pas au client de payer en plus, en sachant qu’il faut déjà ajouter à sa note la sales tax et le tip“. “Ce n’est pas dans nos plans non plus, ne serait-ce que pour une question d’image”, surenchérit Max Guichard. Même son de cloche chez Pascaline Lepeltier, qui estime que la restauration est délaissée par les pouvoirs publics. “Il y aurait beaucoup de programmes nationaux d’aide à prévoir, notamment sur les loyers, sur l’imposition, mais je ne me fais pas d’illusion. Tout est bloqué en raison de l’élection présidentielle”.
Se diversifier ou mourir
Etienne DeYans a ouvert Gypsy Rose en octobre dans les locaux de l’hôtel Holiday Inn. Un partenariat avec une marque connue qui va l’aider à développer une clientèle. “On propose nos repas en room-service, on va également installer un stand de boulangerie pour les petits-déjeuners en partenariat avec Pistache. Ça nous permet de nous diversifier en plus de la terrasse et des livraisons”, explique le restaurateur. Pascaline Lepeltier compte quant à elle développer ses ventes de vin, elle qui dispose d’une cave aux nombreuses références. “On ne s’en sortira pas avec 18 places assises dans notre salle à manger. On va s’accrocher car ce serait dur d’abandonner un projet comme celui-là qui marchait bien avant la crise”. Du côté de Troquet, Max Guichard explique “comprendre les restrictions même si elles peuvent finir par nous tuer”. Le manager de ce charmant bistro français de SoHo veut rester positif, “mais on n’est pas optimistes sur notre sort”.