Lorsqu’elle avait 4 ans, Tabetha Kiraz parlait trois langues : l’araméen, le turc et l’arabe. Aujourd’hui âgée de 16 ans, cette lycéenne de la Rutgers Preparatory school (New Jersey), se dit désormais “seulement” bilingue en araméen et en anglais. “Quand j’étais petite, mes professeurs étaient préoccupés par mon multilinguisme”, regrette-t-elle, samedi 4 novembre, au milieu du salon du bilinguisme organisé par French Morning. ”Ils avaient peur que mon apprentissage de ces langues ne me ralentisse dans les autres matières, qui étaient enseignées en anglais. Ils ont alors convaincu mes parents de faire en sorte que j’abandonne l’arabe et le turc.”
Cette adolescente vient de remporter le concours d’essais des élèves de 7th grade à 11th grade de la région de New York. Lancée pour la première fois cette année par French Morning, cette compétition récompense les meilleurs textes écrits sur le thème du bilinguisme, une notion chère à Tabetha Kiraz. “Lorsque l’on parle une langue, elle devient une partie de nous”, dit-elle.
Dans les allées du salon, le bilinguisme, et même le multilinguisme, est porté aux nues.
“Dans certains pays, les gens pensent que parler deux ou trois langues, c’est trop. Mais au contraire!”, estime Fabrice Jaumont, attaché éducation à l’ambassade de France à New York et auteur du livre La révolution bilingue. Cet expert du sujet parle d’une “longue liste de bienfaits” pour les individus polyglottes. “Il y a évidemment des avantages économiques, cognitifs et en matière de développement. Mais de récentes études scientifiques démontrent aussi que cela a un impact sur le vieillissement.”
Au-delà d’améliorer l’attention et la mémoire, pratiquer plusieurs langues permettrait, selon diverses études, de retarder l’apparition de la maladie d’Alzheimer et d’une démence sénile. “Au final, être multilingue devient un intérêt de santé publique. Il faudrait investir massivement dans ce genre d’éducation”, poursuit Fabrice Jaumont.
Le “pouvoir” des parents
Milady Baez, la deputy chancellor du Département d’éducation de New York, venue ouvrir le salon du bilinguisme, oeuvre à la création de plus de programmes bilingues dans la ville. “Cet enseignement devrait être accessible à tous, pas qu’à l’élite. Les éducateurs et les parents ont remarqué que les enfants bilingues devenaient des adultes plus tolérants et respectueux”, commente-t-elle, ajoutant qu’“à travers ces langues, nous pouvons construire une société meilleure”.
En septembre dernier, 68 nouveaux programmes bilingues ont ouvert leurs portes dans les écoles publiques de New York. Cela a été rendu possible en partie grâce à la motivation de certains parents, qui militent auprès de responsables d’établissements pour l’ouverture de telles classes.
Dans l’espace stands du salon, des parents curieux sont venues à la rencontre de potentielles futures écoles pour leurs enfants, dont La Petite Ecole, la French American Academy, la German International School New York, KinderHaus ou encore La Escualita.
“Nous avons observé une vraie tendance ces dernières années, se réjouit Milady Baez. Les parents viennent désormais nous voir pour nous demander d’ouvrir des programmes bilingues. Ils sont beaucoup plus impliqués qu’avant.”
Tatyana Kleyn, directrice en charge des programmes bilingues au City College de New York, se réjouit de cet engouement. Intervenante durant le salon, elle partage son expérience de jeune fille immigrée de Russie à New York. “J’ai appris très vite l’anglais et je n’ai plus utilisé le russe. A la maison, mes parents me parlaient en russe mais je leur répondais en anglais. C’est dommage”, explique-t-elle. Tatyana Kleyn aurait aimé que ses parents puissent à l’époque, eux aussi, faire ouvrir une classe bilingue. “Les pères et les mères doivent faire entendre leur voix. Il y a tellement de choses qu’ils peuvent faire. Ils ont un pouvoir dont ils n’ont pas idée.”