Chaque année, c’est le même rituel. Je ne parle pas des bûches de Noël, mais de l’installation de mon A/C à la fenêtre de mon appartement new-yorkais – la fameuse “window A/C”. Et à chaque fois, je ne peux m’empêcher d’éprouver des sentiments contradictoires.
Certes, la clim’ est nécessaire à New York et surtout dans certaines parties du pays soumises à des températures encore plus élevées l’été, mais les effets négatifs de ces appareils, qui contiennent des agents chimiques nocifs pour l’environnement, sont bien connus. Sans parler de leur coût, du poids qu’ils font peser sur le réseau électrique et donc le changement climatique, et les conflits qu’ils génèrent au sein des couples – et entre collègues hommes et femmes – sur la “bonne” température, quand l’allumer, pour combien de temps…
Même si 90% des ménages aux États-Unis sont équipés d’une forme ou d’une autre de climatiseur (fenêtre, central…), bon nombre d’Américains se posent des questions. Il suffit de voir les tribunes qui sortent dans la presse tous les ans sur ce thème. “A-t-on besoin de la clim’ ?” “Est-ce qu’on l’utilise trop ?” “Et si on veut s’en passer, comment faire ?” sont quelques-uns des sujets récurrents. En 2016, la journaliste du Washington Post, Karen Heller, mettait les pieds dans le plat. “Je n’ai pas besoin d’air conditionné et vous non plus”, écrivait-elle dans les colonnes du quotidien. Dans son article, cette habitante de Philadelphie explique qu’il y a “plusieurs milliers de raisons” pour lesquelles sa famille s’en passe. Et de citer pèle-mêle le coût que représente l’installation d’un climatiseur, la sensation hermétique de l’air créé… Elle mentionne aussi l’auteur d’un livre sur l’air conditionné qui affirme que la technologie a réduit nos interactions sociales en dehors de nos logements parce qu’on passerait plus de temps chez soi. “L’air conditionné a rendu les Américains gourmands et bêtes. Une fois que le pays est devenu accro, des choses bizarres se sont matérialisées: des fenêtres qui ne s’ouvrent pas, des pulls dans les bureaux en août, des rhumes estivaux, Las Vegas, le football à Phoenix“, énumère Karen Heller.
C’est un argument difficilement audible pour des millions d’Américains. D’abord, dans beaucoup d’endroits, l’accès à la clim’ est une question de vie ou de mort, surtout à l’heure où les vagues de chaleur extrême se multiplient. En moyenne, dix New-Yorkais sont décédés chaque année entre 2011 et 2020 des conséquences directes des températures élevées, selon les données de la Ville. La plupart des victimes sont issues de la communauté noire, conséquence d’inégalités d’accès aux soins médicaux, et vivaient dans des logements non-climatisés. Ce n’est pas un hasard si la Grosse Pomme propose des financements pour aider les plus défavorisés à s’équiper.
Ensuite, de nombreuses habitations ne sont tout simplement pas conçues pour se passer de clim’. “Après la Seconde guerre mondiale, il y a eu un boom de logements individuels au moment où l’air conditionné portable devenait abordable pour l’acheteur immobilier moyen. Beaucoup de maisons ont donc été dessinées et construites avec l’idée qu’elles seraient dotées d’équipements de refroidissement mécanique. D’ailleurs, elles n’auraient pas été confortables sans ce type de technologie“, souligne Gabrielle Brainard, une consultante spécialisée dans “l’enveloppe des bâtiments” qui enseigne l’architecture à l’université Columbia. “Le boom de la construction après la guerre visait à créer des logements low cost pour les vétérans revenant du front. Les entreprises du bâtiment ont utilisé des cadres de bois légers comme structure. Les logements construits, certainement peu isolés, pouvaient être assez inconfortables. L’industrie de l’air conditionné a convaincu les développeurs immobiliers de réduire encore plus les coûts en retirant certains éléments du design, comme les fenêtres qui s’ouvrent, les volets, etc, qui servaient de sources de ventilation et de refroidissement“.
Pour les immeubles, c’est le même combat. Ils n’ont pas été construits pour favoriser l’aération naturelle et d’autres “stratégies passives” destinées à maximiser le recours aux sources naturelles pour chauffer, refroidir ou illuminer les appartements. Par exemple, les fenêtres-guillotines des immeubles, composées de deux vitres qui glissent verticalement, ne se prêtent pas à l’installation de volets. “Dans de nombreux climats aux États-Unis, particulièrement les environnements chauds et humides, ces stratégies passives ne sont pas suffisantes pour parvenir au confort thermique en été. Il y a aussi des types de bâtiments qui ne sont pas optimisés pour la ventilation. Dans des immeubles avec des plaques de plancher profondes, il ne sera probablement pas possible d’ouvrir des fenêtres des côtés de l’appartement pour créer un courant d’air“, poursuit Gabrielle Brainard.
Le secteur a encore de la marge. À la suite d’une vague de chaleur en 2021 dans le Nord-Ouest, Seattle, l’une des grandes villes américaines les moins équipées, a connu une ruée vers l’A/C. On n’a donc pas fini d’adorer de la detester.