“Je me réveille toujours la nuit en me demandant si le camion va marcher” . On dit qu’on s’assagit avec l’âge. Alors qu’Ariane Daguin fête les 30 ans de sa société D’Artagnan, en septembre, elle n’est en tout cas pas moins stressée. “Je suis toujours angoissée. Toujours. Car tout peut arriver. Et tout est arrivé. Il ne faut pas oublier qu’on nourrit des gens! ”
Tout est arrivé, en effet. Il y eut les mauvais moments: la séparation difficile avec son associé George Faison, avec lequel elle avait lancé D’Artagnan en 1985, les galères d’argent des débuts et le fameux coup de fil qu’aucun distributeur de produits alimentaires ne veut recevoir, celui du Center for Disease Control (CDC). Pour D’Artagnan, ce fut en décembre 1999, en plein rush de fin d’année. En cause: de la listeria avait été détectée dans plusieurs de ses produits et les consommateurs tombaient malade. L’entreprise a dû rappeler l’équivalent de 80.000 dollars de produits, avant de retirer la totalité de la gamme des rayons, soit plus d’un million de dollars. D’Artagnan a failli rendre les armes à ce moment-là. “On a rappelé tous les produits suspects et non suspects. On a fermé la cuisine en cause, qui était celle d’un sous-traitant. Pendant presque un an, nous avons eu du mal à nous en remettre. Le sous-traitant lui, ne s’en est jamais remis” .
Il y eut aussi les bons moments, beaucoup plus nombreux fort heureusement. L’entreprise compte aujourd’hui quelque 200 employés et prévoit 95 millions de dollars de recettes pour la fin de l’année. Le site d’information Bloomberg indiquait récemment que ses revenus avaient doublé en cinq ans et les ventes en ligne quadruplé. Après avoir conquis la côte Est et le Midwest, elle part à l’assaut du Texas, en ouvrant un entrepôt à Houston pour pouvoir vendre ses pâtés organiques, ses foies gras, ses volailles et autres pièces de charcuterie jusqu’à la Nouvelle-Orléans.
Malgré ce succès, Ariane Daguin reste modeste. Elle roule toujours dans une mini-cooper floquée du logo de D’Artagnan. Elle n’a rien perdu de son charmant accent gascon. Et côtoie aussi bien des fermiers amish que des ministres et des people comme Jean Reno, qu’elle a aidé pour la commercialisation de son huile d’olive aux Etats-Unis. A son arrivée aux Etats-Unis, elle n’avait pas en tête de créer un empire commercial. Jeune fille au pair, puis étudiante à Barnard College à New York, elle voulait être journaliste. Surprenant pour la fille d’un grand chef comme André Daguin, un monument de la cuisine française qui possède l’Hôtel de France à Auch. “J’adorais écrire. C’était le chemin que j’allais prendre. Car c’était entendu que je ne reprendrai pas l’affaire familiale même si cela n’était jamais dit ouvertement, se souvient-elle. Quelque part, ça a dû me forger une envie de montrer ce que je valais. Ca m’a poussé à aller loin. ”
“Des marshmallows dans la salade”
Le goût pour les bons produits, en tout cas, ne l’a jamais quittée. “Quand j’étais au pair, j’ai vu des choses… des marshmallows dans la salade, une dinde sèche car elle avait été cuite de 3h du matin à 3h de l’après-midi. On jetait de la farine dans le jus, qui était la seule chose qui me faisait envie, pour en faire du gravy. En Gascogne, on envoie des gens en prison pour ça!”
A New York, elle débute en travaillant à temps partiel chez Les Trois Petits Cochons, un autre grand nom du pâté qui a fêté cette année ses 40 ans, au côté du Texan moustachu George Faison. Les deux se rendent compte du potentiel du foie gras frais aux Etats-Unis et lancent leur affaire. Ils créent D’Artagnan avec 15.000 dollars. Les débuts sont difficiles. “Il ne se passait pas un jour sans que l’un de nous ne se dise: je rends mon tablier. L’autre disait: allez, on revient demain. La première année a été très dure. On bouffait nos échantillons. On y est allé à la force du poignet” .
Un début d’autant plus difficile qu’Ariane Daguin ne bénéficie pas du soutien de son père. “C’était très tendu quand je suis partie aux Etats-Unis. Pendant trois ans, nous communiquions à travers ma mère. Mon père n’est pas quelqu’un de très démonstratif. On ne se faisait pas de gros câlins. Ils sont venus me voir quand j’ai voulu monter D’Artagnan. La roue avait tourné. Aujourd’hui, quand j’ai des questions techniques, il est toujours derrière moi” .
Désormais, D’Artagnan compte dans son portfolio de clients des chefs de renom comme Daniel Boulud, David Burke, Eric Ripert, Marc Murphy, Marcus Samuelsson et Thomas Keller. Depuis les débuts de la société, le travail d’Ariane Daguin a évolué – “je ne passe plus le balai” – mais elle continue de visiter des fermes pour trouver des partenaires qui respectent les critères d’élevage de D’Artagnan.
Ariane Daguin l’assure: elle s’amuse toujours, trente ans plus tard, mais ne serait pas opposée à ce que sa fille devienne mousquetaire. “Je pourrais lâcher du lest si ma fille décidait de me rejoindre. Elle est architecte à San Francisco. Elle sait manger, goûter mais elle aime trop son travail” , confie-t-elle. Jusqu’à présent, la reine du foie gras a refusé toutes les offres de rachat de son activité. “Je ne saurais pas quoi faire autrement. Je ne veux pas être sur un bateau, je ne veux pas rentrer en France… D’Artagnan, c’est ma vie, mon 2eme bébé” . Un bébé devenu adulte. Une conférence à New York avec son père doit et l’auteur Marc Levy, qui doit avoir lieu vendredi 25 septembre à Albertine pour marquer les 30 ans, affiche complet.
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J’aime l’Amerique d’ou j’y vis depuis 24 ans, mais je dois avouer qu’en tant que Gascon que les francais ( les vrais ) n’ont rien a envier aux pates americains et tout le reste de leur gastronomie.