« If I can make it here, I’ll make it anywhere ». Pour les entrepreneurs de la tech française, on pourrait renverser l’adage : si tu veux réussir, tu dois réussir ton implantation américaine. Comment les fondateurs français de start-up s’installent-ils aux États-Unis ? Comment se passe le transfert et comment gérer des équipes sur deux continents ? Nous interrogeons des entrepreneurs et entrepreneuses venus conquérir l’Amérique. Cette semaine : Yves Benchimol, CEO et cofondateur de WeWard.
Polytechnicien et diplômé de l’University of California à Berkeley, Yves Benchimol crée sa première entreprise en 2015, une B2B spécialisée dans l’analyse de données pour la grande distribution. « Pour ma deuxième entreprise, j’ai voulu faire quelque chose de plus grand public, et avec un impact positif sur le monde », C’est ainsi que naît WeWard en 2019, une app qui récompense le nombre de pas effectués chaque jour. L’application a été téléchargée par plus de 20 millions d’utilisateurs, qui gagnent en moyenne 100$ par an… en marchant. La société a calculé que ses utilisateurs voient leur nombre de pas augmenter de 25%. La substitution de la marche à pied à d’autres modes de transport se serait soldée, selon elle, par une économie de 600 000 tonnes de CO2.
WeWard, qui gagne de l’argent grâce à la publicité, les deals qu’elle promeut et le cashback, est rentable depuis un peu plus de deux ans, et fait « plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires par an », assure Yves Benchimol. Forte de son succès en France, elle a commencé à s’exporter il y a deux ans, d’abord en Europe mais avec en ligne de mire les États-Unis, un pays « où la sédentarité et l’inactivité représentent un problème majeur ». Le dirigeant français traverse finalement l’Atlantique fin 2022, et compte, un an plus tard, un demi-million de téléchargements outre-Atlantique.
« À partir du moment où nous avons décidé d’attaquer les États-Unis, il était important que le CEO vienne sur place. C’est un signal fort, à la fois en interne et en externe, que les États-Unis sont désormais un des focus de l’entreprise », assure Yves Benchimol de son bureau de Midtown, à New York.
Avoir le CEO sur place, c’est d’abord et peut être surtout important pour recruter. Difficile pour une petite entreprise peu connue d’attirer les meilleurs talents, et recruter prend du temps. « Dans mes entretiens, je privilégie une approche humaine. Les candidats m’expliquent qu’ils ont travaillé là et là… Je leur demande de me dire plutôt qui ils sont. Ça les change et ça leur plaît. Nous offrons aussi à nos employés américains les mêmes conditions en termes de congés payés qu’à nos employés français, cela nous rend plus attractif. »
Autre bénéfice important pour les salariés de WeWard : la possibilité de travailler jusqu’à deux semaines par an dans le bureau parisien. Avis aux fans d’« Emily in Paris » !
Pour le CEO, être sur place permet aussi de mieux appréhender les subtilités du marché américain, et de modifier le produit plus rapidement pour s’adapter aux différences de comportement.
« Nous avons constaté qu’aux États-Unis, le potentiel de gagner beaucoup d’argent était très important, et nous avons donc ajouté des loteries. Nous avons aussi découvert la puissance du milieu associatif, et l’option de donner ses gains à une association caritative est beaucoup plus importante ici qu’en Europe ». Le mois dernier, WeWard a versé 100 000 dollars à des associations, un record pour l’entreprise. Au global, 30% des points gagnés par les utilisateurs sont donnés à des associations.
Sur place, Yves Benchimol adapte également sa stratégie marketing : « Nous avons d’abord travaillé avec des influenceurs, mais cela n’a pas été très concluant, et nous privilégions désormais la publicité sur les réseaux sociaux, TikTok, Snapchat, Reddit. Nous nouons également des partenariats avec des entreprises locales, des associations ou des organisations au sein d’universités ». Cerise sur le gâteau, WeWard recrute actuellement une célébrité qui deviendrait ambassadeur de la marque aux États-Unis. De jolis noms circulent, affaire à suivre…
Aujourd’hui, aux États-Unis, Yves Benchimol se concentre sur la croissance, « la monétisation viendra après ». L’équipe compte deux responsables marketing et deux responsables produit. « Nous n’avons pas de vendeur B2B pour l’instant, ce n’est pas la priorité ».
« Un de mes mentors a partagé avec moi une métaphore que je trouve très juste : En Europe, chaque pays est un zodiac – il démarre très vite mais atteint rapidement sa vitesse de croisière –, les États-Unis sont plus comme un paquebot – on avance lentement mais sûrement, et une fois que ça démarre, the sky is the limit ! ». Le paquebot américain aidera-t-il WeWard à atteindre son objectif affiché de 50 millions d’utilisateurs par jour sur l’app dans 5 ans, chacun marchant 50% de plus qu’avant ? On lui souhaite.