Au fil de la plume m’est venue la phrase :« Cette semaine il a plu des catastrophes sur ma vie et sur celle de mes ami(e)s ».
Mon esprit positiviste franco-US s’est rebellé. Trop dur, trop cru. Il trouve l’expression imagéee, mais un peu excessive.
En fait, je n’ai eu personnellement qu’une seule vraie mauvaise nouvelle, et autour de moi se sont accumulés les avis d’hospitalisation, de tumeur tout juste découverte, de refus professionnels, d’attaque cérébrale, d’occlusion intestinale, d’accident de la route… très précisément ! Tout cela dans le goulet des deux derniers jours de janvier et du début de février. Prémices de la nouvelle annéee lunaire ?
N’empêche depuis ma découverte, en 2003, du livre de Danny Gregory «Every day matters. A memoir », chacun de mes jours importe réellement. Cet opuscule a eu un effet détonant sur ma paranoia vitale. Comme tout un chacun élevé en France, j’abritais une sorte de catastrophisme natif. En gros le verre était toujours à moitié vide, avant d’être à moitié plein ! Depuis la lecture de « Chaque jour compte », j’ai appris à « positiver ». Ma vie est devenue un slogan de grande surface !
Justement, 4 ans après, Danny Gregory vient faire une lecture jeudi 1er février dans notre excellente librairie de quartier « Mac Nally Robinson » sur Prince X Lafayette .
Nous découvrons cela, avec ma fille, retour de Chinatown après un long dimanche culturel au MOMA et au Musée d’Art populaire américain. Nous avions les yeux pleins des madones, cow-boys, tunnels du peintre mexicain Martin Ramirez. Sa ligne claire emporte l’enthousiasme, et efface les cloisonnements de l’ « art brut-outsider art », censés séparer les artistes autodidactes, institutionnalisés, hors système de l’art officiel.
Et voilà Danny Gregory à l’horizon, lui qui n’est pas de la bande dessinée, pas du self help, pas de la philo et tout cela à la fois !
La veille, nous avions assisté à un festival de musique et danse chinoises pour le nouvel an lunaire (18février) au Skirball Center de NYU. J’ai encore la tonalité du pipa, le luth chinois, au creux de l’oreille, 6 jours plus tard. Et, en fait, Gregory habite la porte à côté du Skirball center. Je découvre que son gamin va à la même école que le mien. Nous sommes du même Village ! Sa femme, je l’ignorais, est l’héroïne que j’évoquais dans une chronique précédente, roulant à toute vitesse dans son fauteuil électrique, rouge pimpant, oublieuse des 2 teckels en laisse qui l’accompagnaient, car en pleine conversation téléphonique cellulaire. Elle s’appelle Patti. Styliste très demandée, elle se rendait uptown en métro, lorsqu’elle est tombée sur les rails du métro 9, juste quand la rame entrait dans la station …il n’y avait pas d’ange gardien au bonnet bleu de service ce jour-là …Patti fut écrasée par 3 wagons qui lui broyèrent la colonne vertébrale, la paralysant à vie des membres inférieurs. Patti et Danny Gregory avaient « une vie normale », comme il le dit, avec un bébé de dix mois, Jack et un bon chien bâtard nommé Jack…
A ce moment de mon récit, les animaux étymologiques se glissent dans les mots … « nightmare » , évidemment , la jument des nuits … «chatoyant» qui brille comme l’œil d’un chat , valable en anglais et français…ou encore « boulimie » une faim de bœuf ( en grec , bous le bœuf ; limos , la faim )…
Danny Gregory est devant nous dix ans plus tard. Rond, chauve, plein d’humour. Derrière, se pressent les amis et Jack, devenu un grand blond au visage radieux comme celui de sa mère Patti, venue sans les teckels. Je suis fier d’être du même Village qu’eux. Partie prenante de la même communauté. Dans la salle trois dessinateurs croquent à qui mieux mieux les gestes et expressions de l’assistance. Car telle est la raison d’être de ce livre. Gregory nous y raconte comment il est sorti de sa tragédie personnelle en apprenant à dessiner. Chaque jour avec de nouvelles ambitions. Et en route il a retrouvé une autre raison de vivre, alors qu’il ne savait pas tenir un crayon au début de l’aventure. Le témoignage graphique fut ensuite publié par la prestigieuse Princeton Architecture Press. Gregory nous explique que Robert Crumb (à la NY Public Library le 14 février interviewant sa femme Aline Crumb), le héros de sa jeunesse, lui a écrit une longue lettre, pour le remercier de l’avoir aidé à retrouver foi dans le dessin, ainsi que la ferveur de sa jeunesse, qu’une pratique intensive commerciale lui faisait un peu oublier ! « Qu’à part cela sa couverture était nulle, pas professionnelle… N’utilisez qu’un seul dessin jamais plusieurs ! »
« Everyday matters » vient de sortir en poche chez Hyperion. C’est une résurrection …au fil de la plume.
Bye
PS : Crayon boiteux, j’aime l’histoire douce-amère de ces nonnes grecques qui ont dû fuir leur couvent, à cause d’une faillite de plusieurs centaines de milliers d’euros de leur entreprise de tissage. Les autorités les recherchent dans tous les monastères du voisinage. Le chanteur Moby débarque à la lecture de Gregory et achète 5 bouquins d’un coup !
.Je devrais lui proposer un concert de soutien pour les nonnes grecques.
0 Responses
patriiiick,
j’adore cet article, poesie en prose sans mievrerie.
florence
cher patrick, paris fait il partie encore de ton village ? j’ai eu un merveilleux coup de nostalgie de nos ballades parisiennes. dominique
Pour avoir bénéficié des deux, je peux témoigner que l’ouverture de Sciences Po est également passée par la création d’un fonds de mobilité internationale et une profonde réforme des frais de scolarité. C’est ainsi que l’institution a pu véritablement se démocratiser. Le bilan de Richard Descoings est évidemment perfectible (on peut tjs aller plus loin et, dans le cas de ScPo, je pense que la suppression de l’épreuve de culture générale ou des mesures en direction des lycées ruraux, qui me semblent oubliés par rapport à ceux de banlieue pourraient faire beaucoup), mais il est effectivement admirable. Les hommages de ces derniers jours étaient donc amplement mérités. Dommage que nous n’ayons pu en organiser au Texas, au-delà de la reprise de celui d’Alain Juppé sur le site internet du consulat général à Houston, car pour tous les habitants de l’Etat ayant des liens avec Sciences Po, je pense que le coeur y est !