Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel.
Aujourd’hui, le témoignage de Myriam qui a eu toutes les peines du monde à obtenir son visa K-1.
« Prouvez-moi que vous vous aimez ! » C’est ce que nous a demandé l’État de Washington lorsque nous avons décidé de nous fiancer, mon ami et moi. Nous avions bien l’intention de nous marier, mais, pour être franche, la véritable raison de ces fiançailles était d’obtenir le visa K-1. Vous connaissez la série de télé-réalité « 90 Day Fiancé » ? C’est exactement ce que nous avons vécu : vous avez quatre-vingt-dix jours pour rassembler les preuves de votre amour et les présenter à l’administration. Par peur de mariages « blancs ». Après tout, on dit bien : « Il n’y a pas d’amour. Il n’y a que des preuves ».
J’étais venue à Seattle en 2017 pour un stage à 20 ans. C’était ma première expérience aux US que je connaissais à travers les films et les séries. C’est-à-dire, pas du tout. Je pensais maîtriser la langue : seconde erreur. L’accent, le débit, les différences culturelles… J’étais un peu perdue. Heureusement que ma famille d’accueil s’est révélée vraiment sympa : des Américains originaires de Suède qui m’ont aidée à décrypter les codes depuis leur point de vue d’Européens. Leur fils aîné, surtout : c’est lui, mon « 90 Day Fiancé »…
Je suis revenu en France et avons poursuivi notre relation grâce à tous les stages que j’ai faits ensuite. Comme mon futur fiancé travaillait déjà, il n’était pas question pour lui de me rejoindre en Europe. Nous avons donc décidé que je viendrai vivre avec lui à Seattle. D’où le visa K-1 et les innombrables photos, lettres et témoignages qui prouvaient que « Oui ! Ils s’aiment ! » On envoie tout en mars et nous apprêtons à attendre les six longs mois réglementaires avant de nous retrouver sur le sol américain. Le mois précédent, un certain 14 février, il m’avait fait sa demande en mariage sur le pont Alexandre III, à Paris.
Sauf que… Le mois suivant, le monde entier ferme ses frontières.
Presque un an plus tard – un an, c’est très long ! – je récupère enfin mon K-1 et m’envole pour le rejoindre. On se marie. Un tout petit mariage, sans ma famille qui y assiste à distance, en zoom et en pyjamas. Il est deux heures du matin chez eux. On se rattrapera plus tard.
Désormais mariés, nous faisons une demande de carte verte et pour moi, un permis de travail, documents qui prendront quinze mois à arriver. Quinze longs mois, une traversée du désert. Heureusement, désormais, j’ai le droit de commander de l’alcool dans les bars. Et puis nous nous sommes « remariés ». Une vraie cérémonie cette fois, sans personne en pyjama.
Mais quelque chose avait changé. Seattle. Après le Covid, les prix avaient flambé et l’ambiance n’était plus la même. Nous décidons de partir. « Et pourquoi pas le Kentucky ? » L’État dans lequel mon mari a grandi. Louisville, au bord de l’Ohio. Je ne connaissais pas, mais je demandais à voir. Nous avons pris la route tous les trois, avec notre chien – chien qui n’est pas autorisé dans les parcs nationaux, ce qui nous a obligés à les visiter séparément – et nous voilà partis. La route est magnifique, sauf entre l’Ohio et le Kentucky : quatre heures sans rien.
Nous arrivons à Louisville et c’est une bonne surprise. Vérification faite, il y a un Whole Food et un Trader Joe’s. Ouf ! Je ne peux pas vivre sans.
Je n’avais pas travaillé depuis deux ans et j’ai trouvé un job en quatre mois à dix minutes de chez moi. Nous avons acheté une maison. La ville est vraiment sympa, très dog friendly. Il y a peu de Français, quelques expats de l’usine Michelin pas très loin. Parler ma langue natale me manque un peu, mais je fais partie du board de l’Alliance française.
Voilà pour mon histoire. Ça n’a pas été facile. Il y a eu de longues traversées du désert, des périodes de doutes, mais je suis persuadée que nous avons bien fait de penser out of the box. Ma philosophie de la vie, c’est : « même si vous rencontrez des difficultés, ce n’est jamais permanent. »
La réponse de French Morning
Merci pour votre témoignage, Myriam. De toute évidence, vous êtes sortie des « sentiers battus », au sens propre, comme au sens figuré. Vous avez pris votre voiture pour emprunter une longue route que vous ne connaissiez pas, vers une destination dont vous ne saviez pas grand chose, avec le risque d’être terriblement déçue. Mais, en définitive, vous semblez comblée par votre nouvelle vie.
Dans son livre passionnant Qu’est-ce qui nous fait vivre, Vincent Deary nous raconte cette histoire amusante sur les « sentiers battus » :
“Les urbanistes et les architectes paysagistes parlent d’un phénomène qu’ils appellent des « lignes naturelles de désir », ou simplement des lignes de désir. Le nouveau parc près de mon ancienne maison en était un parfait exemple. Ses concepteurs avaient dessiné de gracieux sentiers en courbe, bordés de buissons et de jeunes arbres, qui conduisaient les pas des promeneurs à travers des pelouses fraîchement semées. Les usagers n’avaient qu’à suivre les instructions, à se laisser guider le long de ce détour paysager. Une allée partait de la route principale pour aboutir à l’entrée d’un grand supermarché. En fait, le parc avait été conçu par les propriétaires du supermarché, qui l’avaient placé entre le magasin et la route pour masquer cette nouvelle et disgracieuse excroissance du négoce. L’allée s’incurvait en arc de cercle, coupant le vert vibrant de la jeune herbe d’une bande gris pâle, offrant au client une balade en même temps qu’il faisait ses courses, l’invitant à flâner en chemin pour respirer l’odeur des roses. Ce que nous n’avons jamais fait, bien sûr. Chargés de désir dans un sens et de sacs d’épicerie dans l’autre, nous avons choisi notre intérêt immédiat plutôt que le détour prescrit. Nous avons voté avec nos pieds. Peu à peu, une ligne d’herbe piétinée se dessina sur la pelouse, reliant les extrémités de la courbe comme la branche d’un arc. À l’usage, cette ligne devint plus marquée, perdant peu à peu son vert. Bientôt ce fut un solide sentier de terre battue, une ligne musculeuse et droite inscrite par le désir et la nécessité. On pourrait dire que ce sentier était la marque d’une décision publique, et plus encore qu’une marque, une nouvelle suggestion, une nouvelle instruction, une façon de résoudre la question de l’accès au magasin qui était le contraire même de la prescription officielle.”
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