Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres et de revues sur l’épanouissement personnel. Illustration Clémentine Latron.
Cette semaine, découvrons l’histoire d’Annabelle et de Vincent, qui ont décidé de partir. À moins que…
« Ils sont tous les deux assis sur le même canapé et se regardent. « On a toujours voulu habiter New York, se souvient Anabelle. Même avant de se connaître. » « C’est même ce qui m’a plu chez toi, complète Philippe. Ce point commun que nous partagions. » Et pourtant, lorsqu’ils ont quitté Toronto après dix ans, ce n’est pas New York qu’ils ont choisi, mais San Diego. « Pour le soleil, la chaleur. On n’en pouvait plus du froid, de la neige. » Et puis, avec le temps, le projet a mûri. Ils avaient gagné la Green Card à la loterie et pouvaient travailler de n’importe où. Et pourquoi pas oser New York ? Les revenus du couple sont limités. Ils ont deux enfants. Ils se lancent. Les débuts sont arides. « New York, quand on n’a pas assez d’argent… » Mais ils s’accrochent. Annabelle trouve un emploi dans les services, Philippe grimpe les échelons de sa boîte.
Leur appartement n’est pas très grand, mais à proximité de l’école. Et puis, le propriétaire est conciliant et accepte les travaux que le couple demande : la création d’une nouvelle chambre. Les filles pourront grandir chacune dans la leur.
Huit années passent et puis cette envie d’autre chose. « Un nouveau cycle, commente Philippe. L’idée de quitter New York pour la France a commencé à nous travailler, même si on ne peut pas vraiment parler de retour. Ça fait vingt ans qu’on est partis. On ne sait pas ce que c’est que d’y vivre. » Une expatriation, en somme, avec toujours la possibilité de revenir. Annabelle et Philippe sont citoyens américains (et canadiens accessoirement). Un ras-le-bol de New York ? « Pas du tout. Mais l’envie de profiter de notre argent dans une ville moins chère, d’acheter quelque chose, d’avoir un projet immobilier, se faire construire une maison. » Ce qu’ils ne pourraient pas faire ici. Se rapprocher des parents vieillissants aussi, qui ont « de plus en plus de mal à venir nous voir ». Découvrir un pays qu’ils ne connaissent pas du tout. « Partir en vacances. Vraiment. Sans cette obligation de visiter la famille ».
Après de longues négociations, Philippe obtient le go de son entreprise… Qui repousse finalement le départ d’un an. La famille est très déçue. « Pas nous ! s’amuse Annabelle. On n‘était pas vraiment pressés… » Voire soulagée. Des deux, Annabelle est probablement celle qui hésite le plus. Finalement, la nouvelle échéance se rapproche. L’été prochain. Et la certitude commence à se fissurer. « Cette ville est sale, violente, hors de prix, commente Annabelle. Mais toutes les fois que je vois se dessiner dans le ciel bleu du matin la silhouette de l’Empire State Building, j’ai l’impression que je ne pourrai jamais vivre sans. » Faire le deuil de New York ? « « Pas vraiment, non, parce que l’on pourra revenir facilement. Mais si on n’aimait pas notre nouvelle vie en France ? Si New York nous manquait trop ? » Philippe est plus tranché. « La seule chose qui pourrait nous empêcher de partir, ce serait de ne pas trouver d’école bilingue en France pour les filles. » Et, de fait, ce n’est pas gagné. Dans la liste des familles prioritaires, la leur n’est pas en première position. Annabelle, qui semble moins déterminée à partir au fur et à mesure que les jours avancent, s’accroche à cette perspective. Elle a pris contact avec The École et le Lyceum Kennedy pour y inscrire leurs enfants à la rentrée prochaine. On ne sait jamais. Il vaut mieux explorer toutes les options. « Et puis, avoue-t-elle en souriant, c’est aussi un moyen de se dire qu’on ne va peut-être pas vraiment partir… »
La nuit est tombée. Dehors, l’Empire State Building illumine le ciel de New York de rouge, de blanc et de bleu, comme un appel vers la France ? Parfois la ville ressemble à un bad boy : impossible de la quitter ni de vivre avec. »
La réponse de French Morning
Merci pour votre témoignage. Arrêtons-nous aujourd’hui Michelle Larrivée, sur la notion d’ambivalence que ressent Annabelle.
Qu’est-ce que l’ambivalence ?
Comme l’indique son étymologie (du latin ambo qui signifie les deux), l’ambivalence désigne le fait d’osciller entre deux choix qui semblent revêtir une valeur équivalente. Si l’ambivalence n’est pas une émotion en elle-même, elle peut concerner les émotions ; on parle alors d’« ambivalence des sentiments ». Mais nos attitudes, notre comportement peuvent eux aussi être ambivalents. Par extension, il arrive que l’on qualifie quelqu’un d’ambivalent parce qu’il a souvent de la difficulté à se décider.
À quoi sert l’ambivalence ?
L’ambivalente indique que les choix qui s’offrent à nous sont à peu près équivalents. D’où le dicton « Entre les deux mon cœur balance ». Lorsque nous devons nous décider, l’option qui nous convient le mieux ne s’impose pas toujours d’elle-même: le choix comporte en effet des avantages et des inconvénients. L’ambivalence s’installe lorsqu’ils paraissent s’équivaloir.
L’ambivalence devient un problème quand elle nous paralyse. Deux raisons principales nous font stagner dans l’ambivalence: nous voudrions nous épargner l’effort d’explorer les différentes possibilités, et celui d’assumer notre choix.
Éviter de faire l’effort d’exploration
Certains pensent qu’un choix, pour être bon, doit s’imposer fortement ou ostensiblement. Mais s’il est vrai que la tendance qui nous convient le mieux est toujours identifiable au bout du compte, elle ne l’est pas nécessairement de manière évidente, surtout au début. Il faut souvent travailler à l’identifier, et presque toujours explorer attentivement les deux possibilités avant de pouvoir se décider. L’examen de la question permet alors d’identifier un penchant. L’inclination, si minime soit-elle, indique la décision qui représente le meilleur choix dans les circonstances.
Éviter d’assumer ses choix
Tout choix comporte des conséquences. Lorsque nous sommes ambivalents, le choix est particulièrement difficile parce que les deux côtés présentent des avantages et des inconvénients à peu près équivalents en importance. Faire un choix, c’est donc opter pour certains avantages et certains inconvénients et renoncer aux avantages qu’offre l’autre choix. C’est également décider de vivre avec les conséquences de l’option retenue.
À l’occasion d’un choix complexe, les conséquences à assumer sont fondamentales et beaucoup plus lourdes. Comme mon choix m’obligera à vivre avec elles, il importe que je tranche vraiment en connaissance de cause. Cela ne me met pas complètement à l’abri d’un regret éventuel. Mais ce regret sera plus facile à vivre si j’ai la conviction d’avoir fait le choix au meilleur de ma connaissance du moment.
Que faire avec l’ambivalence ?
Que le choix à faire soit important ou futile, le mécanisme de l’ambivalence est le même et la manière d’en sortir aussi : il faut trancher. Lorsque la question est complexe, il est toutefois indispensable d’en explorer les diverses dimensions pour prendre la décision qui me convient le mieux. Une décision prise le cette façon sera plus facile à assumer, même si le choix a été déchirant.
Comment mener l’exploration ?
Une méthode répandue consiste à faire, par écrit, une liste des pour et des contre pour chaque option. Le procédé me donne un aperçu de ce à quoi je tiens le plus et de ce que je suis prêt à sacrifier. Il permet d’identifier mon inclination.
Lorsque la décision est complexe et lourde de conséquences, la méthode d’exploration suivante est fort utile : il s’agit de m’imaginer vivre avec l’option qui découle de l’analyse précédente. Je prends note des impressions, des sentiments, des joies et des peines que j’expérimente en imagination. Je fais ensuite l’expérience inverse : j’imagine ma vie avec l’autre option. Durant quelques jours, je vis dans cette perspective et je demeure réceptive aux impressions, aux sentiments et aux pensées qui m’habitent.
Cette recherche permet d’identifier la tendance la plus forte. Elle n’élimine pas mon ambivalence pour autant, pas plus qu’elle ne « décide pour moi ». Simplement, je peux décider en meilleure connaissance de cause.
À défaut de quoi, c’est la stagnation.
Source : « La puissance des émotions »
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