Les lecteurs de French Morning nous soumettent régulièrement leurs problèmes liés à l’expatriation. Deux fois par mois, Vie d’Expat essaie de les aider en ouvrant sa bibliothèque de livres sur l’épanouissement personnel.
Aujourd’hui, le récit de Manon et ses deux garçons bien différents.
« Nos deux enfants sont très différents. L’aîné aurait plutôt hérité de son père : volubile et très social. Il avait douze ans à notre arrivée à San Francisco. Son intégration n’a pas pris beaucoup de temps. En moins d’un an, il est devenu un parfait petit Américain. Sportif, d’un abord facile, toujours positif et prêt à aider la communauté, il a assimilé le meilleur des deux cultures et se destine à intégrer une bonne université.
Notre second, un garçon également, aurait plutôt hérité de moi : réservé, dans l’écoute plutôt que dans la parole, son intégration s’est révélée plus difficile. Nous ne nous en sommes pas immédiatement aperçus. À la maison, tout allait bien. Quand l’aîné prenait trop de place, nous calmions ses ardeurs et mettions en avant le second. Il n’aimait pas le sport ? Aucun problème, nous l’avons inscrit au théâtre. Il avait peu d’amis ? Mieux vaut quelques bons copains sur lesquels on peut compter.
Oui, mais voilà : en grandissant, je me suis aperçue qu’il n’était pas heureux, même en évitant de faire la comparaison avec son frère. L’un rayonnait; l’autre semblait attendre dans les coulisses de la vie. D’ailleurs, il a rapidement arrêté le théâtre. C’est simple, sur scène, on n’entendait pas un mot de ce qu’il disait.
Lorsque nous avons déménagé à Los Angeles, il a fini par me dire qu’il ne se sentait nulle part à sa place et ça m’a brisé le cœur. Je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que nous étions responsables de son mal-être, qu’il n’était peut-être pas fait pour cette vie-là. Quand les enfants entrent au lycée, il y a quand même une énorme pression : il faut être populaire ! Et, de toute évidence, il ne l’était pas du tout – au contraire de son frère, vous l’aurez compris.
En une séance, la thérapeute que nous avons consultée a identifié le problème : mon garçon manquait de confiance en lui. Oh, vraiment ? Pourtant, l’enseignement américain fait tout pour valoriser les enfants, n’est-ce pas ? Pour booster leur confiance. Donc, la faille est plutôt à chercher à la maison, c’est ça ?
Bien sûr, ce n’est pas ce que m’a dit la thérapeute. C’est ce que j’ai compris, moi. Depuis, j’essaie vraiment de l’aider du mieux que je peux, avec mes moyens. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que le système américain est parfait pour les enfants qui entrent dans le moule, et complètement inadapté, voire contreproductif pour les autres. »
La réponse de French Morning
Merci pour votre témoignage, Manon. On oppose souvent l’éducation américaine de la confiance en soi à l’attitude française plus prompte au dénigrement, tant à la maison qu’à l’école.
Si on ne peut que souhaiter à votre enfant de prendre confiance en lui, les effets de cette approche sont loin d’être aussi bénéfiques qu’on le prétend. Manquer de confiance en soi peut être aussi la base d’une personnalité plus riche et authentique.
Pour y réfléchir, nous vous proposons tout d’abord cet extrait tiré de Apprendre à être heureux de Tel Ben-Shahar, titulaire d’un doctorat de Psychologie et de Philosophie et professeur à Harvard, qui vous permettra, peut-être de relativiser la sacro-sainte « confiance en soi ».
« Lors d’une émission de radio récente, j’écoutais un groupe de chefs d’entreprise australiens se plaindre de la plus récente promotion de diplômés issus de l’université expliquant que les vingt-cinq/trente ans superformés nécessitaient d’être constamment maternés, encensés et qu’au moindre reproche ils boudaient ou allaient jusqu’à démissionner. Les dirigeants d’entreprise rencontrent le même problème dans tout le monde occidental. Pour la génération précédente, qui a bien souvent été élevée à la dure, l’arrivée de ces jeunes si faibles et si gâtés est de mauvais augure.
Carol Dweck qualifie collectivement ces nouveaux venus de « génération glorifiée ». Ils ont souvent eu des parents et des enseignants qui, tout à leur désir de bien faire et de leur donner confiance en eux-mêmes, les ont intarissablement couverts d’éloges (histoire de bétonner leur ego) en s’interdisant toute forme de réprobation (susceptible de blesser ce fragile ego). Pour obtenir, en fin de compte, le contraire de l’effet escompté : au lieu de se faire une haute idée d’eux-mêmes une fois parvenus à l’âge adulte, ces jeunes se sont révélés peu sûrs d’eux et trop gâtés.
Pour citer Carol Dweck : “On se retrouve face à toute une classe d’âge de salariés qu’il faut sans arrêt rassurer et qui ne supportent pas les critiques. Ce qui n’est pas le meilleur moyen de réussir dans l’entreprise où la capacité à relever des défis, à se montrer tenace et à reconnaître puis à réparer ses erreurs est justement essentielle.” »
En complément de cette remise en perspective, écoutons les conseils de Fabrice Midal, l’un des principaux enseignants de la méditation en France et qui écrit dans Foutez-vous la paix ! :
« Être vulnérable n’est pas une faute : c’est une formidable capacité d’être touché. Mais nous avons honte d’être comme nous sommes, nous nous torturons pour essayer d’être “mieux”, nous nous empoisonnons la vie. (…) En devenant ami avec ma propre fragilité, j’ai découvert un fait que j’ignorais tant que je cherchais à me barricader : je ne suis pas le seul à être sensible et vulnérable. Nous le sommes tous, à des degrés divers. Nous le cachons plus ou moins, car nous avons honte. Nous vivons notre fragilité comme une tare, comme une expérience traumatisante, d’un manque d’amour ou de je ne sais quelle autre cause que nous essayons de faire remonter en surface en fouillant dans notre passé. (…)
Trop de nos héros contemporains sont des êtres sans fragilité ni failles, qui nous renvoient une image de l’héroïsme dénuée de sa dimension humaine. Ils sont, du reste, des héros, parce qu’ils sont des « machines impitoyables » plutôt que des humains. L’héroïsme qui consistait à laisser éclore toute son humanité est devenu aujourd’hui son absence totale. Le message qui nous est ainsi délivré est qu’il nous faut liquider en nous une vulnérabilité devenue honteuse. » Et l’auteur de conclure, si vous ne parvenez pas toujours à avoir confiance en vous : “Faites confiance en la vie !”
📆 Retrouvons-nous dans 15 jours avec l’histoire d’Alex qui n’est pas du tout du matin.
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