Depuis 1992, l’adage « It’s the economy, stupid! » de Bill Clinton résonnait comme une vérité inébranlable en politique américaine. Pourtant, l’élection de Donald Trump en 2024 semble en apparence avoir défié ce paradigme. Ce n’est pas la seule performance économique qui a guidé les électeurs, mais une dynamique identitaire et une quête de sécurité, tant sur le plan intérieur qu’international. Cette victoire souligne des préoccupations qui transcendent l’économie et un désir renouvelé de protection de ses valeurs et de son mode de vie. Par ailleurs, sur l’économie (et c’est là l’économiste qui s’exprime), les démocrates ont prêté trop attention aux grands agrégats macroéconomiques, bien orientés (chômage, croissance), là où les ménages et petites entreprises américains, décimés par l’inflation, ont fait une analyse plus microéconomique.
Malgré des performances économiques impressionnantes – un taux de chômage autour de 4%, un PIB par habitant de 87 000 dollars et une croissance qui oscille entre 2 et 3% –, l’économie américaine cache des fissures sociales. Si l’inflation, ayant culminé à près de 10% en 2022-2023, est retombée autour de 3%, son impact sur le pouvoir d’achat des ménages reste palpable. En réaction, Trump a proposé des mesures pour faire baisser les prix dans des secteurs essentiels comme l’énergie et le logement, en s’appuyant sur une hausse massive de l’offre. Ce discours était infiniment plus puissant qu’une Harris incapable d’articuler un programme économique cohérent, et qui refusa de venir débattre à Chicago avec la communauté des économistes comme tous les candidats historiquement.
Au-delà des statistiques, cette élection montre que la croissance et la prospérité économiques, bien que solides, ne suffisent plus à apaiser une population confrontée à des crises identitaires et culturelles. Les crises des opioïdes, la montée des inégalités, et un sentiment d’invisibilité ressentis par certains segments de la population ont nourri une méfiance envers les élites, tout en renforçant l’attraction pour un discours plus protectionniste et nationaliste.
La victoire de Donald Trump s’est construite sur une campagne orientée vers des thèmes d’identité et de sécurité. Son slogan « Make America Safe Again », couplé à l’appel au « fight, fight, fight », exprime une réponse à des préoccupations existentielles. Pour un nombre croissant d’électeurs, les questions d’immigration, de sécurité intérieure, de protection des valeurs américaines apparaissent fondamentales.
Là où les démocrates ont mis en avant une plateforme de diversité et de justice sociale, Trump a su capter une angoisse plus profonde de perte de repères et d’identité. Il a présenté son programme comme une garantie contre une Amérique jugée affaiblie et divisée, offrant à ses électeurs une vision protectionniste non seulement de l’économie, mais aussi de la culture. L’électeur américain, pour la première fois en 25 ans, a décidé de cesser de voter uniquement en fonction de sa race, sexe, ou orientation sexuelle. La prospérité et la sécurité des individus sont devenues les principaux thèmes de campagne.
Le Parti démocrate, avec Kamala Harris à sa tête, n’a pas su proposer un projet collectif unifiant. Harris, en s’appuyant sur des thèmes sociaux clivants (le droit à l’avortement, la justice sociale), a cristallisé une image d’élitisme qui, à tort ou à raison, n’a pas réussi à séduire les classes moyennes ni à répondre à leurs préoccupations profondes. En se concentrant sur des mesures de fiscalité plus lourde pour les entreprises et les hauts revenus, le programme démocrate a manqué de capter la volonté d’ascension sociale et d’opportunité économique qui caractérise le rêve américain.
En revanche, le programme de Trump s’appuyait sur des réductions fiscales – et une dérégulation accrue. Ces mesures visaient à restaurer la compétitivité américaine par les coûts et à augmenter l’offre dans des secteurs essentiels, notamment l’énergie et le logement. Cet ensemble de réformes a renforcé le message d’union nationale autour d’une croissance partagée et d’une Amérique fière de ses spécificités. Il peut en outre s’appuyer sur le bon bilan économique du premier mandat Trump.
La dynamique économique sous Trump s’inscrira aussi dans un cadre d’investissement stratégique dans l’intelligence artificielle et les infrastructures, qui prolongera d’ailleurs certaines décisions de Biden. Avec le Chips Act, initié pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement en semi-conducteurs, et les investissements massifs en IA, les États-Unis ont pris une avance structurelle. Ce plan vise à rendre l’Amérique indépendante technologiquement et, par extension, militairement face aux menaces grandissantes d’un bloc autoritaire dominé par la Chine.
Dans cette perspective, Trump capitalise sur un nationalisme industriel qui incarne une reprise de l’idée de la « Frontière » et une opposition assumée aux valeurs portées par l’Union Européenne. La nomination d’Elon Musk à la tête d’une Commission pour la réduction des dépenses publiques, par exemple, symbolise cette recherche d’efficacité et d’innovation technique en opposition avec les modèles étatiques européens.
En 2024, l’Amérique a exprimé son rejet des réponses traditionnelles à des préoccupations désormais existentielles. Le vote pour Trump traduit non seulement une réaffirmation des valeurs américaines, mais également une volonté de retour à un modèle de puissance. Il reflète une demande de stabilité identitaire et de protection collective dans un monde perçu comme plus incertain que jamais.
Pour l’Europe, cette victoire revêt des implications géopolitiques et économiques. La doctrine « America First » sera probablement exacerbée, annonçant des tensions commerciales et un renforcement de l’isolement américain. Mais elle offre également un modèle à imiter pour les droites conservatrices européennes, qui cherchent à s’émanciper du carcan des politiques communautaires.
En fin de compte, le retour de Trump au pouvoir représente l’ultime expression d’une Amérique qui souhaite non seulement prospérer économiquement mais également redéfinir son identité et son rôle dans le monde.
Sébastien Laye est économiste et entrepreneur.
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À propos de l’auteur : Sébastien Laye est un économiste et entrepreneur français et américain.