Dimanche 30 mai 2021, 5-5:30am, sous le pont du Golden Gate. Cyril Derreumaux, entrepreneur et aventurier de 44 ans, va démarrer sa traversée du Pacifique en kayak et en solo. « L’idée c’est de partir avec la marée sortante, très tôt. Pour pouvoir ramer toute la journée et terminer suffisamment loin des côtes la première nuit. Parce que si le vent est défavorable et qu’il me repousse vers les rochers, ça peut être dangereux. » Le Français de Larkspur (dans la Baie de San Francisco), n’en est pas tout à fait à sa première expédition en direction d’Honolulu (Hawaï). « En 2016, j’ai fait cette traversée depuis Monterey en Californie, dans un bateau à 4 rameurs. On avait battu le record Guinness en 39 jours », raconte-t-il.
Cette fois, non seulement il sera seul face à l’océan, mais l’embarcation, et donc les conditions, seront complètement différentes. Son kayak à rames océaniques de 23 pieds (nommé Valentine comme sa sœur) sera beaucoup plus bas que le bateau à rames océaniques utilisé précédemment. « Je serai à 25 cm au-dessus de l’eau, donc s’il y a de grosses vagues et il y en aura, je serai mouillé tout de suite », précise le Lillois d’origine qui s’apprête à ramer 10 à 15 heures par jour. Et ce, pendant près de 70 jours d’après ses estimations. « S’il le faut, je peux rationner la nourriture et ajouter 10 ou 15 jours de traversée. » Difficile de prédire ce qui n’a jamais été fait.
La seule personne à avoir mené à bien une aventure similaire sur le même parcours, c’était Ed Gillet, en 1987. Il avait utilisé une sorte de voile. « Je vais bénéficier des équipements modernes et d’une cabine, mais compter uniquement sur ma force physique pour avancer », explique Cyril Derreumaux, qui a ajouté un système de pédalo à son bateau.
Ce goût de la pagaie date de son arrivée en Californie, il y a 12 ans. « Avant, mon sport c’était le football. Puis j’ai découvert les pirogues polynésiennes à Sausalito. Et au fur et à mesure, j’ai fait des courses de plus en plus longues. J’aimais bien et j’étais bon en ultra-endurance. Alors j’ai continué avec une course de 450 miles (plus de 800 km) en 50 heures et c’est ce qui m’a conduit à la traversée d’il y a 5 ans. » Après quelques lectures à son retour, l’entrepreneur en e-commerce se surprend à rêver de repartir en haute-mer.
Ce qui le motive ? « L’aventure, la vie, repousser mes limites », sourit-il. « Bien sûr que parfois je doute mais après il y a la passion, le souvenir que j’ai d’être dans le bateau au milieu de l’océan. Je sais que pendant la traversée je vais finir par me demander ce qui m’a pris. Mais c’est comme ça qu’on se surpasse. »
Cette odyssée nécessite en effet une préparation minutieuse. Logistique, mais aussi mentale et physique. « Le secret c’est d’essayer de tout anticiper », confirme-t-il. « Il faut faire des tests. » Comme lorsqu’il décide de dormir dans le kayak à l’eau un soir de grand vent. « Je voulais m’habituer aux bruits, aux mouvements du bateau et chercher mon confort dans l’inconfort. » Il s’est finalement réveillé en hyper-ventilation 3 heures après parce qu’il avait consommé tout l’oxygène de la cabine. « Les ouvertures étaient trop petites, je n’y avais pas pensé. »
Cela fait « bientôt trois ans » que cet habitant du comté de Marin se met en condition. « Je devais partir en mai 2020, mais en raison du confinement, le kayak est resté bloqué en Angleterre où il a été construit ». Il a dû repousser son départ pour éviter la saison des ouragans qui commence en août. « Finalement ça a été une bénédiction, ça m’a permis de me familiariser avec le bateau pendant 8 mois au lieu de 15 jours. »
Pour réussir sa traversée, Cyril Derreumaux a fait appel à un préparateur mental professionnel. « La solitude, le fait d’être confiné dans une cabine, la durée, la difficulté physique qui peut user, les hallucinations possibles, les doutes… » sont autant d’épreuves. Mais il en faut plus pour décourager ce père de deux enfants habitués à le voir « partir à l’aventure et revenir avec une barbe énorme et un sourire jusqu’aux oreilles ». Le kayakiste visualise déjà son arrivée. Ses garçons, sa compagne et ses parents venus de France, feront, s’ils le peuvent, le voyage. Tous pourront suivre sa progression au quotidien. Ils seront aussi probablement au départ de son prochain défi, auquel le Français, en bon aventurier, pense avant même d’être parti…