“Une fois, en boîte de nuit, des Américains ont pris une bouteille de grande marque vide et l’ont remplie de mauvais champagne… Les filles n’y ont évidemment vu que du feu!” L’anecdote racontée par Aurélie Vix, directrice adjointe des ventes et du marketing du champagne Pommery, en dit long sur l’image du champagne aux Etats-Unis.
Objet de séduction, marqueur de richesse, ou compagnon indispensable d’un moment de joie : les raisons qui poussent à déboucher une bouteille de champagne sont nombreuses et universelles. Aux Etats-Unis, le marché du champagne se transforme, travaillé par des changements de fond dans la manière dont l’Amérique urbaine boit et s’alimente. En 2010, le nombre de bouteilles importées s’est élevée à 16 934 242, soit une hausse de près de 35% par rapport à 2009, selon le Comité interprofessionnel du vin de champagne. Les nouveaux consommateurs américains seraient plus jeunes, de profils ethniques plus variés et auraient un point commun : la recherche de la qualité. “Les Américains sont de plus en plus concernés par la qualité de leurs boissons” assure Sheri de Borchgrave, journaliste spécialisée dans les vins. “Ils se tournent tout naturellement vers le champagne et cherchent les meilleurs produits”.
Chez trois grandes maisons de champagne français, cette evolution arrive à point nommé. Cette année, c’était le 150ème anniversaire de la marque Pommery. La maison Laurent-Perrier, quant à elle, aura 200 ans en 2012, et la Veuve Clicquot fêtera ses 240 ans la même année. Le champagne français a une longue histoire commune avec les Etats-Unis. En mai 1792, dans le livre des comptes de Georges Washington, on apprend que le père fondateur a fait acheminer six paniers de champagne jusqu’à sa résidence… pour la modique somme de 66 pence. Il faudra tout le travail des représentants de Maisons de champagne dans la seconde moitié du 19ème siècle pour diffuser le breuvage dans la nouvelle République. En 1832, les Etats-Unis et le Canada sont ensemble le troisième importateur de champagne et en 1851, Charles-Camille Heidsieck fonde la Maison Charles Heidsieck. C’est un pionnier. Les Américains le surnomment « Champagne Charlie ».
Jusqu’à aujourd’hui, les habitudes de consommation aux Etats-Unis diffèrent de celles de la France. Pour les professionnels interviewés, celles-ci sont moins liées au revenu des amateurs de champagne qu’à leurs goûts personnels. “Ce n’est pas l’argent qui est le facteur déterminant dans la consommation de champagne aux Etats-Unis, assure Martin de Breuille, le directeur de la marque Pernod-Ricard, section champagne. C’est plutôt une question d’éducation culinaire. Je classerai les Américains en deux groupes: ceux qui s’intéressent à la nourriture et à la boisson et ceux qui y accordent moins d’attention”.
Autre différence : la “consommation de champagne très bling-bling” aux Etats-Unis, d’après Aurélie Vix, de Pommery, pour afficher sa richesse. Ce type de consommation favorise les grands noms, parfois au détriment de la qualité du breuvage. “Ce qui est assez différent en France, où l’on connaît souvent différents types de bon champagne, même si leurs marques peuvent être moins prestigieuses”, assure-t-elle.
Pour nos professionnels, plusieurs facteurs expliquent le récent regain d’intérêt autour du champagne. La mobilité accrue des personnes, en particulier des plus jeunes à travers les séjours d’études à l’étranger, fait connaître le breuvage auprès d’un plus grand nombre d’Américains. Aussi certaines Maisons ont-elles modifié le goût de leur produit, en y ajoutant du sucre, pour satisfaire la fameuse « sweet tooth » américaine.
Pour certains enfin, elle s’explique par l’explosion du marché du vin mousseux (prosecco, cava et crémants) ces cinq dernières années aux Etats-Unis.“Ces jeunes consommateurs se dirigent ensuite tout naturellement vers le champagne lorsqu’ils en ont les moyens”, explique Michelle DeFeo, vice-présidente exécutive de la marque Laurent-Perrier pour les Etats-Unis. Elle conclut : “Il n’y a aucun doute pour moi, la consommation de champagne va continuer à augmenter aux Etats-Unis”.