En plein SoHo, le showroom de Thierry Lasry est à l’image de ses créations qui y siègent impérialement. Cabriolets Louis XV, une imposante bibliothèque remplie de fashion books, BD et magazines, l’ensemble décoré de figurines des années 1980: l’antre du designer mêle époques, chic et sophistication.
Devant un panneau taggé des noms du créateur et de ses modèles, un immense sofa anthracite donne instantanément l’envie d’imaginer quelles icônes ont bien pu s’y asseoir. Jennifer Lawrence, ou peut-être Kate Moss, si ce n’est Gwyneth Paltrow ou Rihanna ?
Prisé à Hollywood comme dans la plupart des rédactions mode de la planète, le Français gère depuis plus d’une dizaine d’années sa marque éponyme de lunettes de soleil de luxe, devenues quasi-incontournables.
Fils d’opticien et d’une mère designer, Thierry Lasry est dans les lunettes depuis 2000. “J’ai commencé comme ça, dans les lunettes d’optique, et progressivement je me suis aperçu que mon truc c’était la mode, donc plutôt les solaires”, confie le designer. A l’époque, le marché est dominé par les licences. Les grandes marques n’apposent que leur logo sur la monture. Le pari de Thierry Lasry: lancer sa propre marque et proposer une gamme de solaires loin des standards qui régissent le marché. Il monte son entreprise en 2006. “La meilleure des solutions pour raconter une histoire est que la marque soit très personnelle, qu’elle porte mon nom”, explique le lunetier.
“Au lieu de démarcher les opticiens, je suis plutôt allé attaquer la mode. Assez rapidement, la styliste du Vogue UK fait une demande pour un shoot. En pleine Fashion Week de février, on a trois pleines pages. C’est vraiment le début d’une visibilité”, raconte Thierry Lasry. Ses créations apparaissent dans des magasins pointus comme Henri Bendel à New York et sont demandés par la plupart des stylistes mode.
Le vrai premier coup d’éclat de Thierry Lasry se passe à Los Angeles. “On travaillait avec un magasin de LA qui s’appelait Confederacy. Et par ce magasin, la Kim Kardashian de l’époque, c’est-à-dire Nicole Richie, découvre les lunettes et décide de façon spontanée de porter mes modèles tous les jours pendant un an. Ce qui n’arrive jamais d’habitude, encore moins aujourd’hui“, raconte le créateur. La machine est alors lancée. Thierry Lasry devient incontournable à Hollywood. Eva Mendes ou encore Anne Hathaway suivent le mouvement lancée par “Nikki” et tout s’enchaîne très vite. De plus en plus de boutiques contactent le créateur. Des collaborations avec Acne Studios et Colette voient le jour. “C’est vraiment le début d’un rêve américain pour une petite marque qui vient de naître à Paris”.
En septembre 2010, il reçoit un coup de téléphone : l’assistant de Madonna est au bout du fil. La Ciccone veut qu’on lui envoie quelques modèles. “Au début, on ne croit pas tellement à l’histoire, mais on envoie les lunettes quand même”, se souvient le designer. Mais l’icône va bel et bien porter une paire de Thierry Lasry. En deux jours, 3 000 photos de la chanteuse vont propulser ses créations sur le devant de la scène. “Et il se trouve que le modèle qu’elle porte (ndlr : Lively) est celui qui va devenir iconique dans la collection, parce qu’il a le mérite de convenir à toutes les femmes. La paire devient notre signature”.
Par effet boule de neige, de nombreuses stars achètent elles-mêmes les créations du Français qui en parallèle s’implantent progressivement dans les boutiques les plus en vue de Manhattan et des Etats-Unis : Opening Ceremony, Bergdorf Goodman, Barney’s et de nombreux opticiens haut de gamme ouvrent leur portes aux fameuses Thierry Lasry.
“Mais en 2013, on arrive rapidement au constat, qu’aux Etats-Unis, une des choses les plus importantes, c’est le service. Le niveau qui est attendu sur le marché américain n’est pas quelque chose que l’on peut fournir de France. Un magasin américain, s’il a besoin de quelque chose, il n’est pas question qu’il décroche son téléphone et qu’il appelle la France. Il n’accepte pas que le paquet ait du retard ou soit bloqué en douane. En plus, nous sommes sur des solaires, considérées comme ‘medical devices’. Elles doivent donc passer par le contrôle de la Food and Drug Administration. Ce qui veut dire que le temps de passage en douane est incontrôlable. Ça peut durer une journée comme une semaine”, explique le lunetier.
Un constat qui l’amène à déménager et ouvrir un bureau et un dépôt à Manhattan il y a trois ans. L’antenne new-yorkaise gère alors toute la distribution nord-américaine et australienne ainsi que la partie création. A Paris, son frère gère tout le reste de la distribution et la production des modèles fabriqués en France.
Si la marque n’a jamais vraiment été exclusivement tournée vers la France, le produit reste 100% français. “Dans la lunette, on est vraiment dans un produit où le made in France veut dire quelque chose. Il y a un savoir faire en France, notamment sur les lunettes en acétate. Un savoir-faire inégalé sur la planète […] On a fait en sorte que la qualité de nos produits soit perceptible assez facilement. Ce qui est un gros avantage”.
Fabriqués dans plusieurs ateliers en France, les lunettes de Thierry Lasry sont principalement composées en acétate et assemblées à la main. Quant à leur design et ses inspirations, le créateur est clair : “j’ai grandi dans les années 1980 et je suis resté un grand enfant”. Très graphiques, ses modèles s’inspirent de l’univers lego, ou encore des motifs confettis ou marbrés de l’époque. On est dans le “futuristic vintage“.
Avec une collaboration avec Fendi qui “positionne la marque au niveau d’une marque de luxe” et l’ouverture de leur e-shop en 2015, les créations Thierry Lasry sont aujourd’hui établies dans le milieu. Après avoir ouvert sa première boutique en propre à Paris, un projet similaire est en cours d’examen à New York. “On veut trouver un concept plus particulier, qui change, explique le créatueur. A SoHo le nombre de boutiques de lunettes de soleil est complètement délirant […] Ici, il faut qu’on fasse quelque chose qui soit différent, que les gens puissent dire : on n’a jamais vu ça”.
Mais le succès a aussi son lot de déconvenues. En 2012, lorsque le chanteur coréen Psy choisit de porter les modèles du Français pour son “Gangnam Style”, une vague de copies et de contrefaçons surgissent an Asie. “Mais ça fait partie du jeu aussi, confie le créateur, le but c’est plutôt d’avoir une longueur d’avance sur ceux qui nous copient ou s’inspirent de nous. C’est ça la mode”.