Elle disait que le beau était une nécessité et que nous avons depuis toujours une envie profonde, presque primitive, de rendre les choses que l’on possède esthétiquement jouissives. L’artiste suisse Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) a construit son œuvre à travers deux guerres et trois pays dont la France. L’actuelle rétrospective du MoMA à son nom, « Sophie Taeuber-Arp : Living Abstraction », fait la démonstration d’un talent resté constant au sein d’une impressionnante diversité de disciplines artistiques, et récuse la séparation artificielle entre l’art et l’artisanat.
L’exposition du MoMA rentre immédiatement dans le vif. Sophie Taeuber-Arp voulait créer des objets pratiques, pas seulement des œuvres à regarder sur un mur. Elle débute sa carrière à Zurich par le travail du textile et des objets courants. Comme en témoignent, de façon surprenante, ses œuvres encadrées de grilles quadrillées aux couleurs vives et aux lignes ondulantes dont, au second regard, elles apparaissent non pas peintes mais tissées de laine, de coton et souvent de perles.
De petites bourses brodées de perles acidulées saisissent la lumière dans des motifs toujours abstraits mais qui évoquent le mouvement et la nature. Enfin, il y a aussi une série de marionnettes dansantes réalisées pour le théâtre Dada. Des figurines de bois multicolores fantasques et gracieuses, avec de fines fleurs de mousseline et de dentelles en collerette ou des plumes en guise de bras. Partout la minutie, tant dans la facture que dans la géométrie des motifs, est remarquable et émouvante.
La fin des années 1920 signe le déménagement de Sophie Taeuber-Arp pour la France. Elle et son mari, Jean Arp, travaillent d’abord à Strasbourg sur un projet de design pour L’Aubette, un centre de loisirs plus tard renommé « La Chapelle Sixtine de l’art abstrait » par les historiens de l’art. On retrouve les dessins préparatoires de l’artiste qui agrandit son habituel quadrillage pour recouvrir les murs, plafonds et parterres de grand pans de couleur juxtaposés, de tapisserie argentée et de meubles et objets décoratifs sortis de son imagination.
Après son arrivée à Paris en 1929 et son entrée dans les cercles de l’avant-garde, Sophie Taeuber-Arp explore enfin la peinture sur toile. Ses œuvres abstraites, mathématiques et épurées donnent un sentiment d’équilibre et de paix contrastant avec la tension montante en Europe. En 1940, face à la pénurie généralisée de la guerre et ayant fui Paris et les Allemands pour rejoindre Grasse, elle se tourne, faute de matériel, vers le dessin sur papier, l’illustration de magazines et de recueils de poèmes. Elle produit des œuvres lyriques et colorées, là encore comme pour signifier que, même dans les pires circonstances, la beauté sauve.
L’exposition au MoMA dévoile un talent d’artiste comme une boule à facettes : à travers le textile, le théâtre, l’architecture, les meubles et objets, les vitraux, la peinture et le dessin. Sophie Taeuber-Arp émeut et redéfinit l’art moderne comme une approche pluridisciplinaire, et de fait, comme un mode de vie.