La SNCF via sa filiale SNCF America affronte les Japonais de Texas Central Partners (TCP) pour la mise en place d’un réseau ferroviaire reliant les grandes villes du Texas.
Et ce sont les Japonais qui ont tiré les premiers. En annonçant en septembre dernier que le gouvernement japonais (via les organismes Japan Overseas Infrastructure Investment Corp. for Transport & Urban Development et la Japan Bank for International Cooperation) leur avait consenti un prêt de 300 millions de dollars pour financer leur projet du Shinkansen reliant Dallas à Houston, ils se sont attirés les foudres de la SNCF. La société française dénonce le concours du contribuable nippon alors que TCP s’est toujours vanté de ne fonder son projet que sur des fonds privés.
« Ce n’est pas possible sans financement public. Jamais un réseau ferroviaire n’a été mis en place dans le monde uniquement sur des fonds privés » déclare Alain Leray, Président de SNCF America, qui dénonce l’hypocrisie du projet japonais. « Tout est histoire de savoir qui va payer. C’est pourquoi la seule carte des japonais pour imposer leur projet est de dire qu’il est financé ; Ce qui naturellement plait très fortement aux politiques. »
En réponse, Texas Central a publié le commentaire suivant : « Bien sûr que la SNCF, qui est une compagnie d’État et hautement subventionnée, est contre l’idée même de concurrence et veut empêcher la meilleure technologie de trains à grande vitesse d’arriver aux États-Unis. »
Deux projets bien distincts
Mais la bataille est loin d’être terminée. Les Japonais sont en attente du verdict de l’enquête d’utilité publique (EIS) qui doit se prononcer sur la validité du projet, également vivement critiqué par la SNCF. Les points reprochés sont conséquents et marquent la différence entre les deux approches puisqu’ils concernent le tracé, les villes desservies et la non-interopérabilité du réseau.
Le projet Japonais propose une ligne droite entre Houston et Dallas le long de l’Interstate 45 (I45) alors que le tracé préconisé par la SNCF longe l’I35 avec un coude (T-Bone) au niveau de Temple, afin de relier toutes les grandes villes du Texas.
« On peut faire un trajet indirect qui relierait les autres villes en passant par Temple, tout en restant sous le sweet spot des trois heures de trajet entre Dallas et Houston. D’autre part, en plus de ne desservir que deux villes, le projet japonais n’est pas compatible avec le réseau classique, ce qui le rend bien plus onéreux. Même si l’écartement des rails est identique, le Shinkansen est beaucoup plus large et deux trains ne peuvent se croiser sur un réseau classique » fait remarquer Alain Leray.
D’après la SNCF, le coût au mile de son projet serait près de deux fois inférieur au Shinkansen et la facture de la globalité des 480 miles du tracé du T-Bone serait à peine supérieure à la construction du premier des trois côtés des 763 miles du “Texas Triangle” reliant Dallas, Houston et San Antonio prôné par TCP. D’autre part, la SNCF, qui se défend de chercher à vendre des trains ou des infrastructures mais juste à devenir opérateur, prône, non pas la grande, mais la moyenne vitesse. « La grande vitesse n’aurait aucun sens sur des villes qui sont aussi rapprochées. »
Elle bénéficie déjà pour cela d’une enquête d’utilité publique publiée sous le nom de Texas Oklahoma EIS. Car le projet SNCF au Texas est une vieille histoire qui remonte en 1992, d’abord en tant que consultant, puis en 2008 et en 2016, en répondant à un appel d’offres du département des transports sur le couloir de l’I35.
D’autre part, la SNCF a toujours l’avantage, par rapport à TCP, d’être déjà établie comme compagnie ferroviaire aux États-Unis. En effet pour que TCP puisse commencer à poser ses rails il va falloir que les tribunaux leur donnent le droit d’exproprier les agriculteurs, propriétaires du terrain. Or la loi Texane stipule que seule une compagnie ferroviaire peut être autorisée à le faire. « Ce que TCP n’est pas puisqu’ils n’exploitent pour le moment pas le moindre kilomètre de voie ferrée, assure Alain Leray. Et je pense que ce n’est pas pour demain. Il y a fort à parier que la bataille judiciaire va être âpre mais celle-là ne concerne pas la SNCF. »
Des ambitions intactes :
Les ambitions et les espoirs de la SNCF sont donc intactes. La société cherche à convaincre les instances politique de la nécessité de monter un financement alliant fonds publics et privés. « C’est mon ambition » proclame Alain Leray. « Ce n’est qu’une question de financement maintenant donc une question politique. Pour arriver à ses fins, la SNCF doit arriver à faire passer le message selon lequel l’implication du contribuable est indispensable à la construction d’une infrastructure ferroviaire. Même si ce n’est pas populaire, le message commence à passer car les faits nous donnent raison. »
Le projet a en tout cas suscité l’intérêt des maires de Dallas et Fort Worth qui ont visité le centre d’opérations SNCF Eurostar lors d’un récent voyage à Paris. « Les politiques sont en train de comprendre que le Texas suffoque sous les embouteillages et que le train est la solution. Mais il reste encore du chemin pour les convaincre de payer. »
Sans compter qu’il faudra certainement faire évoluer les mentalités texanes concernant le train. « C’est tout à fait possible. » affirme Alain Leray. « J’en veux pour preuve le trajet New York- Washington sur lequel le train possède une part de marche de 72%. Et puis les trajets aussi courts n’intéressent plus les compagnies aériennes car ils n’ont pas d’intérêt économique. »
Le groupe SNCF représente aux États-Unis, via ses filiales Geodis et Keodis, environ 15 000 salariés pour un chiffre d’affaires annuel de 2,5 milliards de dollars.