Reconnaissable entre mille grâce au gigantesque drapeau arc-en-ciel qui flotte à l’intersection de Market street et de la rue qui lui donne son nom, le quartier de Castro est devenu un refuge pour la communauté homosexuelle à la fin des années 1960, remplaçant une population à majorité catholique qui l’habitait depuis le XIXe siècle. Un changement pour le moins surprenant, mais qui trouve ses racines dans une époque bien particulière, entre après-guerre et Summer of Love.
Dans les années 1880, Eureka Valley, qui comprend l’actuel Castro, offre de vastes pâturages aux fermiers locaux. En 1889, la construction d’une voie de chemin de fer reliant Market street à Eureka Valley amène de nombreux Irlandais, Allemands et Scandinaves, venus faire fortune à San Francisco pendant la ruée vers l’or. Ils construisent de vastes maisons dans ce quartier peu peuplé et dont les terres sont bon marché. Jusqu’à la Deuxième guerre mondiale, le quartier se distingue par son unité économique et religieuse: la plupart de ses habitants sont des commerçants ou ouvriers, et tous se retrouvent le dimanche à l’église Most Holy Redeemer, construite en 1900 sur Diamond street.
L’après-guerre va apporter une vague de changements qui va complètement transformer le quartier: “On assiste à un exode massif vers les banlieues: la nouvelle génération de ces familles installées depuis des années dans Eureka Valley préfère le confort moderne des lotissements aux maisons victoriennes difficiles à entretenir“, explique Gilles Lorand, créateur de San Francisco by Gilles, qui propose des visites guidées à pied, dont une dans le Castro.
Au même moment, San Francisco voit un afflux de militaires, déchargés de leurs obligations car homosexuels: “L’homosexualité était passible de prison à l’époque“, rappelle Gilles Lorand. “De nombreux jeunes engagés dans la guerre du Pacifique découvrent dans la promiscuité des casernes que d’autres partagent leur orientation sexuelle. L’armée ne veut pas garder d’homosexuels dans ses rangs, et les démobilise en masse à San Francisco. Pour ces jeunes gens, pas question de rentrer dans leurs familles pour révéler les vraies raisons de leur démobilisation et risquer d’être ostracisés: ils s’installent donc à San Francisco.”
Tolérance et loyers abordables
Le mouvement “beat”, suivi par la période hippie, prône une plus grande tolérance envers les homosexuels, et la communauté continue à se développer: les quartiers de North Beach, Polk Gulch, du Tenderloin et South of Market ont chacun leurs bars et clubs gays. Attirés par les maisons victoriennes vacantes et à bas prix, les gays s’installent dans Eureka Valley vers la fin des années 1960. “Ils ont fait peur aux derniers traditionalistes résidant dans le quartier, et les magasins de jouets pour enfants ont été remplacés par des enseignes spécialisées dans les jouets pour adultes!”
En 1970, 12% de la population de San Francisco se déclare homosexuelle, et dans le Castro, ces chiffres frôlent les 100%. “Cliff’s Variety, un droguiste installé sur Castro street, est le premier magasin aux Etats-Unis à publier des offres d’emplois uniquement réservées aux homosexuels, comme un pied de nez la chasse aux sorcières maccarthyste qui touche aussi les homosexuels.” Les commerces gay-friendly fleurissent le long de Castro street: en 1971, deux lesbiennes rachètent la Twin Peaks tavern à l’angle de Market, enlèvent les affiches qui couvraient les vitres, afin de montrer au monde entier que les homosexuels ont le droit de boire un verre dans un bar comme n’importe qui. Harvey Milk, qui possède un magasin de photo au 575 Castro street, est élu superviseur, l’équivalent de conseiller municipal en 1977, soutenu par les votes de tout le quartier.
Son assassinat en 1978, et l’épidémie de Sida dans les années 1980, mettent fin à l’âge d’or du Castro. 16 000 personnes meurent du Sida à San Francisco entre 1981 et 1995. L’essor des entreprises de tech a, par la suite, aussi modifié la démographie du quartier: les jeunes loups de la Silicon Valley sont prêts à payer des loyers plus élevés, et certains homosexuels quittent le Castro pour des quartiers plus abordables. Aujourd’hui, 30% de la population du Castro se déclare homosexuelle. Le quartier est devenu une attraction touristique, et ses habitants sont un joyeux mix d’homosexuels, de familles et de bobos: ” Les moeurs ont évolué, le mariage gay est légal, rappelle Gilles Lorand. Les homosexuels ne sont plus rejetés et n’éprouvent plus le besoin de se replier sur une communauté ou un quartier.”
Malgré cela, San Francisco reste la ville la plus “gay” des Etats-Unis: selon un sondage paru en 2015, 6,2% des habitants adultes s’identifient comme LGBT, la plus forte proportion pour une ville américaine.