Après cinq années de restauration et de transformation, la Frick Collection a rouvert ses portes ce jeudi 17 avril. Un événement très attendu puisque l’architecture du lieu et ses collections sont parmi les joyaux artistiques de la ville de New York. Les équipes du musée ont orchestré une rénovation éblouissante, combinant la restitution, dans les règles de l’art, des salles d’origines et l’adjonction de salles repensées pour répondre à des fonctions muséales ou éducatives, plus contemporaines, à l’exemple de l’auditorium Stephen A. Schwarzman nouvellement créé, qui vise, avec son acoustique de pointe, à proposer un calendrier riche en conférences et concerts.
Pour les accompagner dans ce projet ambitieux de 220 millions de dollars, outre le cabinet new-yorkais de l’architecte allemande Annabelle Selldorf, en collaboration avec Beyer Blinder Belle, la direction de la Frick Collection a sollicité l’excellence française. Parmi les contributeurs à la restauration, on compte de nombreux artisans ou entreprises tricolores, notamment pour restituer les pièces d’époque, la plupart conçues dans le plus pur style français du XVIIIe siècle. Cette nouvelle vie du musée de la Frick Collection doit donc beaucoup à la collaboration avec ces artisans d’exception. Quand aujourd’hui nous marchons d’un pas confortable dans les galeries du musée revampé, que notre regard glisse sur les teintes et matières harmonieuses du décor pour se poser sur des œuvres majeures dans un ensemble spectaculaire, c’est à ces artisans que nous le devons aussi.
Pour saisir l’enjeu de l’attention portée à cet écrin, il faut comprendre l’importance de la collection qui y est exposée. Celle-ci a été constituée par Henry Clay Frick (1849–1919), un industriel états-unien, proche d’Andrew Carnegie, au goût de mécène très assuré. Vermeer, Boucher, Renoir, Turner, Rembrandt, Whistler, Velasquez, Manet… dans sa collection se côtoient des œuvres peintes et des objets d’art décoratifs représentatifs des artistes les plus virtuoses, de la Renaissance jusqu’au XIXe siècle.
Ces œuvres sont, dans un premier temps, exposées dans la demeure familiale, une mansion à l’américaine construite entre 1912 et 1914 sur la cinquième avenue, près de Central Park, dont le décor est inspiré par l’Europe du Siècle des Lumières. En 1935, la collection s’élargissant, la famille ajoute à la maison, un musée, construit par l’architecte John Russell Pope et le décorateur White Allom, pour abriter et préserver l’ensemble des œuvres. C’est dans le respect de ces constructions et décorations successives que les travaux engagés il y a cinq ans ont été envisagés. Les artisans français ont donc eu pour mission de réparer, reconstituer, poursuivre, reproduire certains décors, en respectant les couleurs, les matières et les motifs originaux.
Comment les entreprises et artisans français ont-ils été recrutés ? Certains partagent un historique de collaboration avec la Frick Collection. C’est le cas de la Manufacture Prelle, une entreprise familiale établie à Lyon depuis 1752, spécialisée dans le tissage, vers laquelle le musée s’est tourné, tout naturellement. Cette maison a retrouvé dans ses archives des commandes du décorateur White Allom datant de 1935.
En analysant les quantités commandées et en comparant les échantillons archivés par le service de conservation du musée et par la maison lyonnaise, leurs équipes ont pu établir les caractéristiques exactes du velours en soie qui couvrait les murs des salles à rénover : la galerie ouest, la pièce ovale et le bureau de monsieur Frick. Sabine Verzier, qui est à la tête de la maison Prelle, explique ce travail d’enquête dirigé par la volonté de « reconstitution historique la plus proche possible du tissu d’origine ». Elle revendique la « quête d’excellence au niveau de la qualité et de la densité du velours 100% soie ».
Autre entreprise sollicitée par la Frick, La Passementerie Verrier, établie à Paris, a été contactée par le musée car elle partage son showroom new-yorkais avec la Manufacture Prelle, mais surtout parce qu’elle maîtrise un savoir-faire unique. Cette entreprise propose un travail artisanal entièrement fait à la main. Elle est intervenue, à la Frick Collection, pour réparer un galon, une frange, une embrasure, pour compléter une passementerie manquante. Exercice difficile puisqu’il faut se conformer à un matériel et une façon d’exception déjà en place et déjà usée par le temps. Cette « faculté de faire le modèle du client » selon les mots d’Anne Anquetin, dirigeant l’entreprise depuis 2018, est si rare à trouver qu’elle explique pourquoi le musée les a sollicités. Il faut convenir que le travail de passementerie, sa capacité à reproduire le geste d’autrefois, permet au décor de retrouver son uniformité d’origine.
Pour le peintre décorateur Jean Carrau, qui a passé vingt-six ans à exercer son métier pour de grandes familles états-uniennes, l’histoire de la collaboration avec la Frick Collection commence sans doute par la nécessité de « voir de la peinture ». Les heures qu’il a passées à arpenter les collections ne se comptent plus. Les conversations engagées avec les curateurs du musée, les visites des réserves et sa curiosité pour les aménagements en cours, l’ont amené à participer à l’appel d’offres pour la rénovation et à être sélectionné pour réaliser les décors peints du Boudoir de Boucher. Ici encore l’enquête est au cœur de la restauration. La recherche de la teinte originale est réalisée en « grattant jusqu’au bois » pour aller ponctionner la première couche de peinture. Lui qui a étudié à la prestigieuse école Van der Keleme, à Bruxelles, cultive une réelle passion pour la couleur. « J’ai le regard, j’aime fabriquer les couleurs, j’aime faire ma cuisine, bidouiller », confie-t-il. Lors de la rénovation de la salle Boucher, c’est son regard et son geste qui permettent une remise du lieu aux teintes originales. Il y réalise aussi les faux marbres des plinthes et la restauration d’un miroir Pompadour. Avec son épouse Anita qui a participé au chantier, ils s’investissent avec minutie, rigueur, mais surtout avec passion.
Sabine Verzier évoque une « histoire commune », Anne Anquetin, une « collaboration fantastique » et Jean Carrau dit avoir « adoré travailler sur le projet de rénovation du musée », y avoir trouvé, « un esprit de famille », Il conclue : « c’était formidable ». Avec ces mots, c’est probablement lui qui résume le mieux ce qui a irrigué cette collaboration entre les Français et la Frick. Faisant écho à ces témoignages, Jenna Nugent, à la tête des projets de curation et d’expositions, souligne l’engagement des différents intervenants français sur le chantier, un engagement qui va même, selon elle, au-delà de l’excellence technique et imprègne la collaboration d’enthousiasme communicatif.
« The Frick Collection », 1 East 70th Street. À partir du jeudi 17 avril.