Il était l’un des Français ayant le mieux réussi aux Etats-Unis au cours de ces dernières années. Fondateur en 2006 du LendingClub, Renaud Laplanche, qui vit à San Francisco, a fait de sa plateforme de peer-to-peer une référence dans le secteur de la “fintech”. Mais la belle histoire s’est achevée de manière abrupte en quelques jours, dans des conditions qui intriguent.
Début mai, les nuages se sont accumulés au dessus du navire LendingClub et de Renaud Laplanche, son capitaine. Le 6, ce champion de voile de 45 ans a dessalé, délogé de son poste de CEO par son conseil d’administration suite à des soupçons d’irrégularités. Le président du conseil d’administration va assurer les fonctions de CEO à la place de Renaud Laplanche, alors que le DOJ (Department of Justice) a ouvert une enquête.
Un choc pour le patron de cette société, dont la valorisation a atteint à un moment près de 10 milliards de dollars, dans la foulée de son introduction à la bourse de New York (NYSE) en décembre 2014. En une semaine, le cours de l’action de LendingClub a perdu 50% de sa valeur. “Tout le monde a été extrêmement surpris, car LendingClub était la figure de proue de ce nouveau secteur. Renaud Laplanche en était le symbole de réussite”, commente Grégori Volokine, analyste chez Meeschaert, à New York.
L’idée du LendingClub, et des autres plateformes construites sur ce modèle : permettre aux particuliers de se prêter de l’argent via une plateforme en ligne. Mais très vite le modèle a évolué, avec une part de plus en plus importante de l’argent prêté venant non plus de particuliers mais d’acteurs institutionnels.
C’est indirectement cette implication de “gros prêteurs” qui a précipité la chute de Renaud Laplanche. On lui reproche d’abord des erreurs d’information concernant des prêts vendus par LendingClub au fond Jefferies Group (la transaction n’a pas eu d’impact négatif pour l’acheteur, toutefois, et le montant n’était pas très important). Il est par ailleurs soupçonné de conflit d’intérêts : Renaud Laplanche aurait incité LendingClub à signer avec un fonds dans lequel il avait quelques parts.
Des erreurs qui auraient pu passer inaperçues, mais qui, découvertes, font tâche dans un secteur jeune, où la confiance entre les parties prenantes est clé. “C’est un gros bump, arrivé de nulle part”, confirme le Français Luc Hardy, qui fut l’un des premiers actionnaires du LendingClub, encore sonné par les évènements de la semaine dernière.
“Il y a eu un problème de supervision, et sans doute Renaud n’a pas traité ce problème comme l’aurait fait le Head of Regulatory Affairs d’une grande banque. LendingClub a été pendant longtemps une petite entreprise. Aujourd’hui, la société est côtée en bourse, et pour cette raison, elle est extrêmement visible, surtout au vu des gens qui sont dans le board, comme Larry Summers ou John J. Mack [ancien CEO de Morgan Stanley]. Ces gens-là ont aussi leur réputation à protéger, il ne peuvent rien laisser passer.”
Mais l’avenir de l’entreprise n’est pas menacé, selon Luc Hardy, qui n’a plus d’intérêts majeurs dans LendingClub. “Mon avis, c’est que cela va décaler de six mois la croissance de l’entreprise, mais qu’après les choses rentreront dans l’ordre. Il y a beaucoup d’envieux et de concurrents qui cassent du sucre sur ce modèle, mais la vérité, c’est qu’il marche. Certes, les valorisations de ces entreprises vont peut-être un peu baisser, mais tant qu’on pourra refinancer des prêts de carte de crédit pour moins cher sur ce type de plateformes, le modèle existera.”
Une opinion qui n’est pas partagée par Christopher Low, économiste chez FTN Financial, à New York. Selon lui, les difficultés de LendingClub montrent à quel point ces systèmes de crédits entre particuliers, nés dans la foulée de la crise de 2008 et moins régulés que les banques classiques, sont fragiles.
“On a vu en Chine que certains sites se sont cassés la figure, notamment parce qu’il y a eu beaucoup de fraudes. Ils proposaient des taux très attractifs pour les investisseurs, mais ces prêts étaient trop risqués. Aux Etats-Unis, c’est différent car le système est plus régulé, mais je crois que cette industrie des prêts en ligne va avoir du mal à continuer à croître dans ce contexte. Ces évènements génèrent de l’anxiété et dans les mois qui vont venir, il y aura beaucoup plus de contrôles.”
Selon Grégori Volokine, de chez Meeschaert, à New York, il est fort possible que certaines entreprises de ce secteur ne survivent pas, ou alors se transforment, en s’adossant à des institutions financières classiques. “Les niveaux de risque actuels sont très importants, et certains prêts frôlent parfois les taux d’usure pour les emprunteurs”, dit-il.
“La vraie question, c’est : pourquoi ont-il fait cela ?, s’interroge Grégori Volokine. Je pense que cela traduit une certaine détresse. Depuis quelques mois, ces entreprises de peer-o-peer ont du mal à trouver des financeurs… C’est d’autant plus frappant que le montant des prêts frauduleux en question n’est vraiment pas important.”
Hier, le site Footnoted, qui a analysé des documents de la SEC, rapportait que quelques jours après le départ de Renaud Laplanche, des dirigeants de LendingClub se sont sécurisés de confortables packages. En prévision des mauvais jours.