Un piano noir, une rangée de guitares, des synthés, un ordinateur, un grand canapé… et quelques cartons. Ce jeudi 27 avril, le nouveau studio d’enregistrement de Raphaël Dargent est encore en cours d’installation, au fond de son jardin fleuri de Venice Beach, à Los Angeles. Ses locaux se trouvaient avant à Culver City. C’est désormais dans cette maisonnette lumineuse, non loin de la mer, que le Français passe cinq à six heures par jour à écrire des bandes-son. « Je voulais un lieu source d’inspiration, explique ce Parisien, chemise bleu foncé, jean et bottines en cuir. J’y reçois aussi les producteurs, même si j’exerce un travail à 95% solitaire. »
À 28 ans à peine, Raphaël Dargent -ou Phar- est compositeur de musiques de films. Un rêve que ce jeune talentueux a concrétisé en travaillant d’arrache-pied. « Je commence à bosser très tôt le matin, vers 4h30 et je m’arrête de composer vers 15h. Le reste de ma journée est consacré à la partie plus commerciale de mon travail : mails, calls, rendez-vous…» détaille-t-il. L’inspiration ? Un combat quotidien. « C’est quelque chose de proactif, elle ne te tombe pas dessus dans ton bain », assure-t-il en citant Jack London : «You can’t wait for inspiration, you have to go after it with a club. »
Depuis qu’il s’est lancé il y a 5 ans, tout juste diplômé d’un master de composition très sélectif de l’USC de Los Angeles, les contrats s’enchaînent. Le Français a déjà réalisé une quarantaine de bandes originales pour des films, des séries ou des courts-métrages, dont La légende (Florian Hessique, 2018), sélectionné au festival de Cannes ou Two (Emre Okten, 2019), un court-métrage récompensé aux Oscars.
Thriller, science-fiction, épopée historique, drame…« Je travaille surtout sur des films indépendants américains, produits hors du circuit des plus gros studios. Des films à plus petits budgets, où la marge créative est plus importante » apprécie-t-il. Ses derniers projets ? La bande-son de The Actor (Richard Blake), « dans un style un peu jazz » et celle de Why dinosaurs (Pinto production) « un immense documentaire de deux heures avec une musique 100% orchestrale. »
« Créer une atmosphère, accentuer la tension, ancrer le film dans une époque, cela ne commence pas par de la musique, c’est une réflexion proche de la dissertation ou de l’essai » analyse cet ancien étudiant à l’Essec. Dans une vidéo publiée sur son site, Phar dévoile les coulisses de la création, depuis les premières notes sur son piano jusqu’à l’enregistrement final par 60 musiciens à Budapest. Un orchestre qu’il dirige lui-même, baguette à la main, dans un anglais impeccable.
Quand on l’interroge sur son parcours fulgurant, Raphaël Dargent nuance : « Je dirais à la limite que je suis un généraliste de la musique, mais un prodige, certainement pas, et encore moins aux États-Unis où les musiciens ont un niveau hors normes ! » Il ambitionne pourtant d’aller loin : « Je veux bosser sur de grands films qui vont faire l’histoire du cinéma. Pour moi, le bonheur est dans la quête de ce rêve, qu’il se réalise ou pas. »
Sa passion pour la musique, le jeune homme la relie au drame qui a frappé sa famille dans l’enfance. En 2004, à l’âge de 10 ans, il perd sa mère, son petit frère, sa petite sœur et ses deux grands-parents dans le tsunami dévastateur en Thaïlande, dont il réchappe par miracle avec son père. Sa famille vivait alors à Tokyo. « Nous sommes rentrés à Paris, mon père et moi. Continuer le piano a été une sorte de défouloir, raconte-il avec pudeur. Je pense que la musique était le seul canal de communication vers mon intériorité. Elle peut exprimer ce que les mots ne peuvent pas. »
Adolescent, il intègre un « groupe de rock de lycée » où, vêtu d’une veste en cuir, il est chanteur, pianiste et guitariste. À 14 ans, il « bidouille avec des micros » et exerce son oreille en enregistrant des « premiers mix tout pourris.» Il arrête la musique en classe préparatoire, où il étudie en écoutant les plus grands compositeurs : John Williams, Hans Zimmer, Nicholas Britell… Admis à l’Essec, à Paris, il écrit la bande-son d’un court-métrage étudiant et réalise qu’il veut faire de la composition son métier.
Quitte à démarrer de zéro, pourquoi ne pas partir à Los Angeles, qu’il voit alors comme la « Mecque du cinéma » ? Une fois le « gap culturel » surmonté, et après des débuts difficiles, le jeune homme apprécie le rythme de vie de LA. Mais c’est en France que ce jeune marié se voit vivre dans quelques années. Après les États-Unis, Raphaël Dargent rêve de voir s’ouvrir les portes du cinéma français.