Il était temps qu’un musée américain honore Art Spiegelman. Le travail de cet illustre New-Yorkais, lauréat notamment du premier prix Pulitzer décerné à une bande dessinée, et du Grand Prix d’Angoulême, fait l’objet d’une rétrospective au Jewish Museum jusqu’au 23 mars 2014.
L’exposition, inaugurée en France (Angoulême puis Centre Pompidou à Paris) avant d’être présentée à New York, revient sur ses 50 ans de carrière, depuis ses premiers pas dans les comix underground des années 60 jusqu’à ses plus récentes oeuvres de collaboration avec le monde de la musique et de la danse.
Sans fausse modestie, Art Spiegelman commente la présentation de cette rétrospective à la presse en avouant qu’il “se serait bien passé d’avoir à remettre en perspective ce travail, ressassé pendant si longtemps“. Difficile en effet de prendre du recul et de synthétiser 50 années quand on est un travailleur aussi acharné et touche-à-tout que lui.
Evidemment, le coeur de cette rétrospective est l’espace consacré à la célébrissime bande dessinée Maus, qui raconte la vie des parents d’Art Spiegelman en Pologne puis à Auschwitz, pendant l’holocauste. Les personnages sont incarnés par des chats et des souris (évoquant ainsi la qualification des Juifs par les nazis de “vermine“). L’exposition permet de revivre la préparation de cette poignante bande dessinée, en montrant notamment des planches originales, croquis, notes, mais aussi la transcription du témoignage de Vladek Spiegelman sur cette période de sa vie, recueilli par son fils. Maus a eu un tel succès, le personnage de souris qu’Art Spiegelman a de nombreuses fois reproduit est devenu tellement iconique, qu’il avoue que l’un de ses challenges est devenu de “parvenir à le dépasser“.
Un espace est également consacré aux couvertures du New Yorker, magazine avec lequel Art Spiegelman a collaboré entre 1992 et 2002. On y retrouve notamment sa première couverture, particulièrement connue, représentant un juif hassidique embrassant passionnément une femme afro-américaine. Des couvertures, travaux préparatoires, planches et exemplaires originaux du magazine Raw, créé en 1980 avec sa femme Françoise Mouly sont aussi exposés.
Mais au-delà de ces éléments avant-gardistes, personnels, engagés, critiques, et souvent provocants de la carrière d’Art Spiegelman, on découvre également des travaux plus inattendus, comme les illustrations parues dans les revues du type Playboy pour payer le loyer, le packaging et matériel publicitaire pour la marque de chewing gum Topps, les illustrations d’ouvrages de Boris Vian ou les livres pour enfants.
Dans l’une des dernières salles de l’exposition, la partie consacrée au livre In the Shadow of No Towers a une résonance particulière dans ce musée de New York. En effet, Art Spiegelman y livre sa détresse, ses craintes et sa frustration politique après les évènements du 11 septembre 2001, et ce de manière d’autant plus poignante qu’il a vécu ce drame de très près. On y retrouve en particulier la fameuse couverture du New Yorker du 24 septembre 2011 créée par Art Spiegelman et sa femme et représentant, dans un ciel noir, les silhouettes des tours du World Trade Center en ombres noir foncé.
L’exposition se termine sur une note plus légère, autour de projets récents de l’artiste, dont le spectacle multimédia Wordless!, créé en collaboration avec le compositeur de jazz Phillip Johnston, qui se produira à la Brooklyn Academy of Music en janvier.