La France, c’est le croissant, le vin, la mode… et le renseignement géospatial. C’est du moins ce que rappelle la success story de Preligens, une société française spécialisée dans l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour traiter de grandes quantités de données à des fins militaires. Lancée en 2016, elle est en train de renforcer sa présence aux États-Unis avec le but de pérénniser ses liens avec le Pentagone.
« C’est très rigolo. Les Français sont plus surpris par notre existence que les Américains », observe Arnaud Guérin, son co-fondateur qui s’est installé à Washington avec sa famille, en décembre, pour développer les activités de l’entreprise de ce côté-ci de l’Atlantique. « Quand on a commencé à se développer aux États-Unis, tout le monde nous a dit que ce n’était pas possible pour des Français d’apporter quelque chose aux Américains. On se perçoit comme en retard. On nous a lancé : ça ne sert à rien, vous allez passer pour des tocards… »
Nommée Earthcube à sa création (et devenue Preligens à la suite d’une levée de fonds de 20 millions d’euros en 2020), la société est le bébé d’Arnaud Guérin et de son beau-frère Renaud Allioux, deux ingénieurs qui évoluaient jusqu’alors dans le domaine du nucléaire (Areva) pour le premier, de la défense et du spatial (Airbus) pour le second.
Après quinze ans au sein du géant énergétique français, Arnaud Guérin a eu envie de monter sa propre entreprise. « Je cherchais un truc très tech, avec des enjeux de souveraineté nationale ». Son futur associé attire son attention sur le boom du secteur des satellites et de l’observation de la terre. « À l’époque, en 2015, Space X commençait à faire parler de lui. Beaucoup d’autres boîtes peu connues en Europe se lançaient. Elles ont maintenant plus de satellites que les entreprises historiques, comme Airbus et Thales », poursuit-il.
Les deux hommes décident de se focaliser sur « l’aval », à savoir la masse de données grandissante générée par les nouvelles sources d’images et de données, en particulier dans le domaine militaire, « le plus gros marché ». Ils développent une solution utilisant l’IA pour analyser les données recueillies par des avions, drônes ou encore des satellites pour aider leurs clients à identifier des équipements ennemis (tanks, navires…) ou des infrastructures au sol, par exemple. La technologie de Preligens permet notamment de compter le nombre de blindés ou d’avions sur un espace donné, suivre leurs mouvements, repérer les « protections passives » (murets, barrières…).
Cartographier des zones, signaler toute activité anormale sur un site (port, camp…), classer des actifs militaires : la technologie aux usages variés permet à ses utilisateurs un gain de temps énorme, d’autant que le traitement de ces volumineuses données est souvent fait manuellement.
« Un directeur du renseignement aux États-Unis nous a dit qu’il aurait besoin de 3 à 5 millions d’analystes s’il voulait passer au crible toutes les informations qu’il recevait. Ce n’est juste pas possible, glisse Arnaud Guérin. Nous combinons la puissance de l’intelligence artificielle, qui automatise des tâches très simple, au savoir-faire des analystes, qui ont la possibilité de prendre du recul, comprendre le contexte et faire des déductions ».
Avant de se lancer à la conquête des États-Unis, Preligens voulait devenir un leader européen. C’est chose faite : elle travaille notamment avec le ministère des armées français, l’OTAN et le gouvernement japonais. En octobre dernier, elle a décroché un contrat de 240 millions d’euros sur sept ans auprès de la Direction générale de l’armement (DGA) pour l’utilisation de sa technologie. Trois ans plus tôt, la DGA lui faisait déjà confiance pour développer des solutions d’intelligence artificielle pour la détection de cibles par les avions de chasse.
Les premiers contacts avec le Department of Defense (DoD) américain remontent à 2019 dans le cadre d’une initiative du ministère et de l’Ambassade de France aux États-Unis autour des entreprises industrielles innovantes. La compagnie de 250 employés s’est vue confier un premier projet – « un suivi d’activité sur des infrastructures civiles » – qu’elle mène toujours aujourd’hui.
Preligens entend à présent devenir un fournisseur de long-terme du Pentagone, un objectif qui nécessite de renforcer sa filiale américaine. C’est la mission actuelle d’Arnaud Guérin. Pour le moment, la compagnie ne compte que trois employés aux États-Unis, mais elle aimerait en avoir, à terme, autant qu’en France, soit 250. « Nous allons commencer par un premier socle de dix-vingt salariés américains, explique le fondateur. Pour devenir un acteur majeur ici et développer des produits, il faut qu’on arrive à créer une structure locale avec une vraie ingénierie ». Avec un défi supplémentaire : pour des raisons de secret défense, seuls des citoyens américains peuvent être recrutés.
Mais la guerre en Ukraine a ouvert de nouvelles opportunités pour des pépites internationales, comme Preligens. « Avant l’invasion russe, les Américains auraient peut-être attendu 12-18 mois qu’une tech sorte de leur R&D (recherche et développement). Aujourd’hui, on ne peut pas attendre. Proposer un outil déjà utilisé dans des zones de combat, comme le nôtre, nous donne un avantage, conclut Arnaud Guérin. On pense que les Français n’exportent que du vin et des sacs Vuitton, mais ce n’est pas le cas. »