Vous êtes-vous déjà étonné, voire agacé, de l’enthousiasme sans limite de vos collègues ou amis américains, qui ponctuent chaque fin de phrase d’un Amazing! et collent sur leur frigo des aimants Be Happy ou Think Positive ?
Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas les premiers. Déjà en 1835, le philosophe Alexis de Tocqueville remarquait que les Américains possèdent « une foi vive dans la perfectibilité humaine. » Un siècle plus tard, l’auteur et cinéaste Jean Cocteau affirme dans Lettre aux Américains qu’être pessimiste aux États-Unis serait être « coupable d’un crime. » Y a-t-il un optimisme typiquement américain ? La question bête du jour se penche sur ce cliché.
En 2014, une étude du Pew Research Center révélait que plus de 40% des Américains décrivaient leur journée comme étant « particulièrement bonne », contre 17% des Européens – les Africains étant à 47%. Une étude du World Value Survey en 2014 montre que 36% des Américains estiment avoir été « très heureux » dans les dix dernières années, dépassant les autres pays sondés.
Mitch Horowitz, historien et auteur du livre One Simple Idea: How Positive Thinking Reshaped Modern Life, décrit l’optimisme comme « un trait typiquement américain » qui remonte à la période coloniale, lors de la création des États-Unis. Le mythe fondateur de l’Amérique, pays de migrants, est celui de l’homme nouveau qui arrive sur une terre nouvelle avec « un sentiment d’expansion et de possibilité sans fin », explique-t-il, sentiment alors strictement réservé aux colons blancs.
Pour Mitch Horowitz, l’optimisme américain prend une forme particulière au milieu du XIXe siècle, qu’il appelle « la métaphysique de l’esprit positif ». C’est l’idée que nos pensées ont des conséquences directes sur le monde réel, que l’on peut changer sa réalité en changeant son attitude mentale, d’où l’importance de cultiver des pensées positives. Cette idée, émise par des transcendantalistes américains comme Ralph Waldo Emerson ou Henry David Thoreau, se diffuse rapidement. Pour Mitch Horowitz, son succès s’explique notamment par le manque de soins médicaux de l’époque.
« Beaucoup de personnes se sont tournées vers des thérapies alternatives, notamment des techniques de guérison mentale car la médecine moderne était encore très peu avancée », explique-t-il. Ironiquement, c’est un pharmacien français et expert en hypnotisme, Emile Coué – auteur de la célèbre méthode -, qui lors de ses voyages aux États-Unis en 1920, répand le mantra « De jour en jour, je me sens de mieux en mieux », repris plus tard dans une chanson des Beatles, « Getting Better ».
Au début du XXe siècle, le positive thinking fait l’unanimité au sein de courants très différents : dans les discours de suffragettes comme Emma Curtis Hopkins ou de l’activiste afro-américain Marcus Garvey, qui y voient un potentiel émancipateur pour les opprimés. Jusqu’à aujourd’hui, cette pensée persiste sous différentes formes, que ce soit dans les pubs de Nike, dans les livres de développement personnel, dans les églises évangéliques ou dans les cercles New Age. « C’est peut-être la seule perspective qui unit des gens très différents dans la société américaine », selon Mitch Horowitz. Mais nombreux sont ceux qui critiquent aussi cet optimisme américain, à tendance individualiste et matérialiste, cette injonction à la positivité qui fait de tout malheur un échec personnel.
L’optimisme américain aurait-il atteint son apogée ? En 2022, une nouvelle étude du Pew Research Center montre que seulement 21% des Américains sont satisfaits de l’état du pays. « Avant, pour entrer dans la vie politique américaine, il fallait absolument professer un optimisme dans l’avenir. Pensez aux slogans d’Obama “Yes We Can” ou de Reagan “Nothing is Impossible” mais je pense que cette héroïsation de l’optimiste est révolue », affirme Mitch Horowitz.
D’après lui, ce changement est dû à l’élection de Donald Trump, dont le mouvement est fondé dans la colère plus que dans l’optimisme, et à l’avènement des réseaux sociaux, où le langage dominant est celui du sarcasme et de la haine. On peut ajouter à cela le meurtre de George Floyd et la pandémie covid, et on comprend pourquoi la nouvelle génération ne se réclame pas facilement optimiste. Un sondage réalisé par Gallup en 2022 montre que le nombre d’adultes américains qui pensent que leurs enfants auront une meilleure qualité de vie qu’eux a baissé de 18% depuis 2019. La dernière fois que ce pourcentage était aussi bas remonte à 2011, peu après la crise financière de 2008-2009 qui marquait déjà un tournant dans l’humeur collective du pays.