Les nouvelles restrictions apportées à l’accès à l’avortement par plusieurs Etats (Alabama, Géorgie, Louisiane…) ont remis le sujet sur le devant de la scène politique -et au coeur de la prochaine campagne présidentielle.
L’avortement est en réalité un sujet éminemment partisan depuis plus de trente ans. Pourtant, ce n’était pas nécessairement le cas avant la décision de la Cour suprême « Roe V. Wade », qui a légalisé l’avortement en 1973. La population américaine était majoritairement en faveur d’un changement des lois sur l’interruption volontaire de grossesse, qui était considérée comme un crime dans de nombreux États. Linda Greenhouse, qui a couvert la Cour suprême des États-Unis pour le New York Times pendant une trentaine d’années, ce qui lui a valu un prix Pulitzer, raconte comment l’accès à l’avortement est devenu une question politique : « À la fin des années 1970, le parti Républicain a fait une alliance avec les groupes religieux conservateurs (les catholiques et les évangélistes) pour gagner du soutien politique. Ça a été mené à bien quand Ronald Reagan s’est présenté aux élections présidentielles. Il a basé sa campagne sur un discours anti-avortement et a eu beaucoup de soutien de la part des groupes conservateurs religieux. C’est à partir de ce moment que le mouvement “pro-life” a gagné en importance, soit une dizaine d’année après Roe V. Wade ».
La politisation de la question de l’avortement a alors contribué à solidifier le camp des “pro-life”. Le vote catholique a par exemple évolué explique Linda Greenhouse. Alors que les électeurs catholiques étaient auparavant plutôt favorables à légalisation, “l‘Eglise étant devenue active sur le sujet, être un bon catholique voulait dire être contre l’avortement”, détaillait la journaliste. Les Républicains, en devenant le parti anti-avortement, ont réussi à attirer un électorat catholique, qui votait auparavant majoritairement pour le parti démocrate.
Directrice de Healthy and Free Tennessee, une organisation “pro choice”, Anna Carella, estime que, plus récemment, la montée en puissance du Tea Party en 2010 explique le retour en force de la question de l’avortement. Ce mouvement, qui critiquait notamment les dépenses gouvernementales qui s’accroissaient sous l’administration Obama, a permis à la droite évangélique de se renforcer considérablement au sein du parti républicain.
Aujourd’hui, ces élus, principalement en fonction dans les Etats du sud, sont en campagne pour renverser la décision « Roe V. Wade » afin de rendre l’avortement illégal. Si les États ont le droit de restreindre son accès, la jurisprudence de la Cour suprême exige qu’ils le fassent «sans instituer un fardeau excessif sur les femmes » (arrêt “Planned Parenthood V. Casey”. Comme l’explique Linda Greenhouse, les récentes lois votées courant 2019 ne sont pas conformes à la constitution : « Elles seront déclarées inconstitutionnelles par les juridictions inférieures. Mais ce que les militants anti-avortement espèrent est que la Cour Suprême s’empare d’un des recours et annule Roe V. Wade ».
Même si la Cour suprême a désormais une majorité de juges conservateurs, Linda Greenhouse estime peu probable qu’ils décident de se saisir de l’avortement. Une hypothèse peu probable selon Linda Greenhouse, d’autant qu’elle n’est pas souhaitée par l’aile plus modérée du Parti républicain, “car le droit à l’avortement reste défendu par la majorité des électeurs et s’il venait à être aboli, cela pourrait fragiliser le Parti républicain pour les élections présidentielles 2020”.