« Je me suis sentie déchirée ». Quand Sophie a appris l’attaque du Hamas contre Israël en se réveillant le samedi 7 octobre, elle a ressenti un énorme choc.
Certes, cette Française juive de Floride issue de parents ashkénazes et séfarades, qui n’a pas souhaité que son nom soit publié, n’a pas de famille directe sur place et voyait plutôt d’un mauvais œil la politique « très extrémiste » de Benyamin Netanyahou jusqu’à présent. Mais son amour pour Israël est revenu au galop à la suite de cet acte terroriste qui a fait plus de 1.400 morts et conduit à la prise en otage de plus de 200 personnes. « Au-delà de la surprise, j’ai eu peur, j’ai éprouvé du chagrin, de l’angoisse. Quand on me demande si j’ai de la famille là-bas, je réponds que j’y ai dix millions de proches », soit la population de l’État hébreu, poursuit-elle.
Comme le reste du monde, elle assiste depuis, impuissante, à l’engrenage infernal de la violence : la riposte israélienne controversée, le sort incertain des otages, l’inquiétude autour de la situation des populations civiles palestiniennes, la crise humanitaire… Sans oublier les réactions virulentes aux États-Unis, où le conflit provoque des manifestations quotidiennes, une recrudescence des incidents islamophobes et antisémites, et malmène la présidence de Joe Biden.
Pour trouver du réconfort, Sophie s’est donc appuyée sur l’importante communauté juive de Miami, participant à un rassemblement avec ses enfants dans une synagogue et à une manifestation de soutien à Israël – sa première aux États-Unis – alors qu’elle ne se considère ni sioniste ni religieuse. « J’y suis allée pour montrer que j’étais mobilisée », dit-elle.
À Los Angeles, la Belge Jennifer Solomon-Baum, fondatrice d’une agence de création, accroche des affiches des otages du Hamas tout en participant à des initiatives éducatives sur le Proche-Orient et de soutien aux start-ups israéliennes, secouées par cette nouvelle guerre. Mère de deux enfants, elle se dit « complètement bouleversée et brisée de l’intérieur » par l’attaque foudroyante. « J’étais incapable de travailler pendant toute la semaine. J’ai participé à une réunion où j’ai dû dire à mes interlocuteurs que je n’y arrivais pas. Faire du networking pour parler de la pluie et du beau temps, ça me consume. Imaginez de voir sur des vidéos Youtube que votre enfant a été kidnappé ou que vos proches ont été torturés. C’est effroyable. Et je trouve dégueulasse d’entendre beaucoup de gens dire: ‹ ils l’ont cherché › ».
Abdelhamid Kerief, lui, bat le pavé pour la Palestine à New York. Cet Algérien a pris part à une grande mobilisation à Times Square le 13 octobre dernier aux côtés de milliers de personnes brandissant des drapeaux palestiniens pour appeler à un cessez-le-feu. Option rejetée jusqu’à présent par le gouvernement Biden. « Je suis complètement dégouté par l’attitude et le parti-pris des gouvernements occidentaux, dont celui des États-Unis, de la France, de l’Allemagne, de l’Autriche, etc, explique ce professeur à l’université publique CUNY. Ces pays tellement épris de paix ont voté contre une résolution du conseil de sécurité pour un cessez-le-feu. Est-ce une manière d’essayer de se refaire “une virginité” après avoir envoyé des millions de juifs à Dachau et à Auschwitz il n’y a pas si longtemps ? »
S’il se dit « choqué » et « attristé » par l’ampleur de l’attaque du 7 octobre, il peut la comprendre. « Quand votre pays a été occupé pendant 75 ans, quand des colons viennent détruire votre maison et vous chassent de la terre de vos ancêtres, quand plus de deux millions de vos compatriotes sont otages dans une superficie de 360 km2, ne pouvant avoir ni eau ni électricité qu’avec la bénédiction des forces d’occupation, l’inaction serait une forme de lâcheté, affirme-t-il. En y réfléchissant, ce n’est que l’irruption d’un volcan qui menaçait depuis fort longtemps. Les “accords d’Abraham” et la normalisation des relations d’un certain nombre de pays arabes avec Israël semblent avoir été faits au détriment de la cause palestinienne ».
Un point de vue que partage Rene Lichtman, un Franco-Américain vivant en banlieue de Detroit (Michigan). Le peintre octogénaire a une position très particulière – et pour le moins inconfortable : cet « enfant caché », dissimulé par une famille catholique en banlieue de Paris pour le protéger des Nazis, appartient à ces juifs progressistes qui défendent la cause palestinienne. Arrivé aux États-Unis à l’âge de 13 ans, il explique que son soutien provient de ses expériences au sein de groupes marxistes et communistes américains, où il a côtoyé de nombreux militants arabes.
Aujourd’hui, ses opinions lui valent d’être qualifié de « traitre » ou de « juif qui se hait soi-même » (self-hating jew). « À mon âge, je m’en fous, s’exclame-t-il autour d’un café. La situation est compliquée et la plupart des gens au sein de la communauté juive autour de Detroit, qui est plutôt conservatrice, ne veulent pas le reconnaître. Pour eux, il n’y a pas deux côtés. Ils disent “oui” à Israël, sans ajouter de “mais”. Or, je pense qu’il faut dire “mais”… On ne peut pas faire abstraction du contexte historique ».
Sophie, en Floride, s’indigne de l’hostilité des gauches française et américaine envers l’État hébreu. Tout en reconnaissant ses craintes au sujet du sort des civils dans la bande de Gaza. D’autant que le Hamas, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’Union Européenne, est connue pour se servir des populations non-militaires comme des boucliers humains. « Dans cette situation, il n’y a que des mauvaises solutions, dit-elle. Je ne sais pas à quoi ça va aboutir, mais on ne peut pas rester sans rien faire ».
S’il y a bien une chose qui rassemble les deux camps, c’est la crainte d’une augmentation des crimes de haine contre les communautés juive et arabo-musulmane aux États-Unis. « Le climat est devenu plus compliqué », glisse Jennifer Solomon-Baum, qui a hésité à accrocher une bannière israélienne devant chez elle. La ressortissante belge a une impression de déjà-vu. « Les États-Unis se rendent compte aujourd’hui qu’il faut renforcer la sécurité devant les écoles juives et les synagogues, comme la France et la Belgique le font depuis longtemps. J’ai toujours connu cela en Europe ».
Malgré la violence actuelle, Abdelhamid Kerief se montre optimiste sur un point : « Ça remet la cause palestinienne au centre des débats et l’idée que la seule solution qui puisse permettre une paix durable est la reconnaissance d’un État palestinien à côté de celui d’Israël ». On en semble encore bien loin aujourd’hui.