Symbole des potentialités et des limites du rêve américain, la ville de Detroit a été le théâtre d’une révolution industrielle totale. Quelques années à peine après qu’Henri Ford y ait assemblé sa première automobile, la ville se dotait de gratte-ciel et autres opulentes bâtisses, signes de cette prospérité soudaine. Dans les années 1950, la ville comptait près de 2 millions d’habitants, faisant d’elle la quatrième ville des Etats-Unis. Et puis, délocalisations, désindustrialisation…: aussi vite qu’il s’était réalisé, le rêve américain de Detroit s’est dissipé, et en cinquante ans la ville a perdu plus de la moitié de ses habitants.
Depuis, les ruines y poussent comme des champignons, parties intégrantes du paysage urbain. C’est ce qu’ont capturé, cinq ans durant, Yves Marchand et Romain Meffre. Leurs photographies, présentées au Scope Art de New York par la galerie Emmanuel Fremin, sont rassemblées dans un ouvrage magnifique, préfacé par le photographe d’architecture Robert Polidori. Des théâtres, des gares, des appartements, des bureaux – chaque ruine raconte l’histoire de Detroit, de sa majesté éphémère et passée. « Detroit est certainement l’un des rares endroits où les bâtiments ont une espérance de vie comparable à celle d’un homme : ils survivent rarement plus de 80 ans », notent les auteurs.
Yves Marchand et Romain Meffre se sont rencontrés en 2002. C’est l’amour des ruines contemporaines qui les a rapprochés. Originaires de banlieue parisienne, c’est là, adolescents, qu’ils ont commencé à capturer les vestiges d’anciens cinémas. Romain s’occupe de la composition, Yves, de la technique, et leur collaboration s’avère fructueuse : les photographes n’ont pas 30 ans et leur ouvrage est déjà un best-seller.
Leurs photographies d’intérieurs en ruine, magistralement composées, sont particulièrement impressionnantes. Comme celles du Michigan Theater (ci-dessus), un théâtre de 4 000 places construit en 1926 dans le style « French Renaissance », avec chandeliers, grands miroirs, colonnes et statues, déclinant dès les années 1960, et transformé en parking de trois étages dans les années 1970. « C’est sur l’emplacement même du cinéma qu’Henri Ford, dans son petit garage, avait conçu son premier véhicule en 1892. Finalement, l’histoire et la voiture se sont insidieusement réinvitées dans le Michigan Theater», observent les photogaphes.
En fin d’ouvrage, ils ont choisi d’immortaliser un autre travail original, celui de Tyree Guyton qui, avec son grand-père, a commencé dans les années 1980 par décorer des maisons abandonnées, dans les quartiers résidentiels de Detroit désertés, avec des objets trouvés dans le quartier. Depuis le projet a pris de l’envergure, devenant le projet Heidelberg, proposant de nombreuses activités artistiques et communautaires pour soutenir la ville et ses habitants. Detroit n’a pas dit son dernier mot ni sa dernière photo.
Detroit, vestiges du rêve américain, Yves Marchand, Romain Meffre ed. Steidl, décembre 2010. Sur Amazon ou la Fnac.
Pour l’acquisition des photographies, contactez la galerie Emmanuel Fremin.
Site des photographes
Site du Heidelberg Project
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Incredibly moving and chilling. What a travesty. What disrespect for artistry and the work of so many artisans.