Pas facile de trouver le temps pour une interview quand on dirige une boulangerie prisée des cols blancs de midtown Manhattan. Sitôt la rush hour du déjeuner passée, Pierre-Antoine Raberin teste avec Fumi, une fidèle cliente d’origine japonaise, deux nouvelles recettes de salade de nouilles soba et de melon au wasabi. Le hasard des rencontres fait bien les choses : Fumi est une cheffe reconnue au Japon où elle est juge dans un show télévisé à la Top Chef. C’est le Français Lucas, le numéro deux de la boulangerie, qui testera la salade pour son déjeuner. « Est-ce que c’est assez ? Faut-il rajouter des nouilles ? », s’enquiert Pierre-Antoine Raberin. Le test est concluant, la salade fera donc, dès le lendemain, son apparition dans les présentoirs de l’Ami Pierre.
Pierre-Antoine Raberin commence sa carrière dans la mode, chez Hermès où il travaille au département cuir puis sur le travel retail en Amérique du sud. C’est là qu’il rencontre Elisabeth Holder, la fille de Francis Holder, le fondateur du groupe Paul, né à Lille dans les années 40. D’une simple boulangerie, Francis Holder a fait une chaîne à succès, Paul, qui rachètera l’enseigne de luxe Ladurée en 1993.
Contrairement à ses frères Maxime et David, Elisabeth s’est fixé trois règles qui font grincer les dents du patriarche : « ne pas travailler en famille/ne pas travailler dans l’alimentaire/ne pas travailler avec mon mari ». Elle travaille chez Celio, Et Vous, Hermès. Mais la pression familiale aura raison de ses principes, et elle rejoint finalement la holding familiale en 2004. Son conjoint Pierre-Antoine Raberin suivra un an plus tard.
Pas de passe-droit pour autant, chez Paul on ne devient pas manager sans avoir suivi une formation de boulanger. Le couple fait ses classes en cuisine pendant six mois. Sa formation de boulanger en poche, Pierre-Antoine Raberin prend la tête du développement international de Paul de 2005 à 2011. La chaîne s’est ouverte aux marchés étrangers dès les années 80, en Asie puis au Moyen-Orient. « Ouvrir des franchises de boulangerie est beaucoup plus complexe que des franchises dans la mode. Le pain et les gâteaux sont faits sur place, il faut choisir des franchisés passionnés, les former, et contrôler régulièrement la qualité de ce qu’ils produisent », explique Pierre-Antoine Raberin.
Forts de leur expérience chez Paul, Pierre-Antoine Raberin et Elisabeth Holder décident en 2011 de prendre la tête du développement de Ladurée aux États-Unis. Ils seront co-CEO de Ladurée USA : lui gèrera les finances, l’administratif et le développement, tandis qu’elle supervisera la communication, le marketing et la stratégie digitale.
Le développement international d’une marque de luxe comme Ladurée est très différente du développement d’une chaîne mass market comme Paul. « Une marque premium comme Ladurée vient avec ses propres contraintes, explique Elisabeth Holder. La maison mère refusait d’adapter la marque Ladurée au marché américain. Il a fallu batailler pour les convaincre de créer de nouveaux produits pour Halloween par exemple, ou en partenariats avec d’autres marques américaines ».
La première boutique Ladurée américaine ouvre en 2011 sur Madison avenue. Le couple est aux manettes, y compris en boutique, et il n’est pas rare de les voir au comptoir. D’autres boutiques ouvriront à Soho et à Washington DC en 2014, puis à Los Angeles et à Miami en 2017. Au final, Ladurée compte dix points de vente quand la pandémie de covid éclate en 2020. La crise sanitaire vient toucher de plein fouet Ladurée et ses concurrents. Avant que les aides de l’État ne soient mises en place, Pierre-Antoine Raberin et Elisabeth Holder mettent en place un fonds de solidarité pour leurs employés au chômage technique. L’entreprise, jusqu’alors peu digitale, offre ses macarons en ligne à partir de juillet 2020.
Suite à la vente de Ladurée à Lov Group de Stéphane Courbit en 2022, Pierre-Antoine Raberin commence à réfléchir à un nouveau projet. Il discute chaque semaine avec le gotha de la restauration fine made in France aux États-Unis, Daniel Boulud, Jean-Georges Vongerichten et Eric Ripert. C’est ce dernier qui l’alertera sur un emplacement laissé vacant par la faillite de Kaiser, sur la 51e rue entre la 6e et la 7e avenue.
C’est décidé, Pierre-Antoine Raberin montera donc l’Ami Pierre avec une ambition : « offrir le meilleur sandwich baguette de New York ». L’enseigne a de bonnes fées sur son berceau : Eric Ripert l’aide à confectionner le menu, le café sera sélectionné par Steven Saddoff, un passionné de café et créateur de Ground support Coffee. Et c’est Farid, de l’agence de publicité Fred & Farid, qui construit l’identité visuelle de l’Ami Pierre.
Aujourd’hui, la French Fast Good de L’Ami Pierre attire une clientèle de financiers et d’avocats. « C’est une clientèle raffinée et extrêmement généreuse », décrit l’entrepreneur. L’ambition : ouvrir d’autres antennes, d’abord dans Midtown puis dans le Financial District. Une deuxième boulangerie devrait ouvrir en 2025.
L’équipe de seize personnes, venues de France, des États-Unis mais aussi de plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique latine, sert sandwiches, quiches, salades, soupes et gâteaux de boulangerie du lundi au samedi de 7am à 7pm (8:30am-3pm le samedi). « 80% de nos clients reviennent, et 40% viennent trois fois par semaine », analyse Pierre-Antoine Raberin. De belles métriques de succès que l’entrepreneur doit maintenant répliquer sous forme de chaîne, comme il l’a fait pour Hermès, Paul et Ladurée.