Ce n’est pas difficile de trouver la maison de Philippe Petit: il suffit de chercher le câble suspendu dans son jardin. C’est là, dans le calme de sa propriété nichée dans une forêt en banlieue de Kingston (Upstate New York) que le funambule français, devenu une sensation internationale après sa marche entre le sommet des Tours Jumelles en 1974, s’entraine trois heures par jour tous les jours. “Je passe beaucoup de temps à voyager. C’est ici que je me ressource. C’est une belle cachette“, dit-il en anglais. Après 30 ans aux Etats-Unis, le gamin de Nemours (Seine-et-Marne) reconnait avoir du mal à trouver les mots dans sa langue natale.
Dans ce cocon de verdure où il s’est fabriqué une étable avec des outils et des techniques du XVIIIème siècle, il prépare son prochain show: une “surprise aérienne” qu’il offrira samedi 8 juin à la Glass House. Située à New Canaan (Connecticut), cette petite bâtisse aux murs de verre, classée monument historique, fêtera ses 70 ans lors d’un gala estival champêtre. On est loin du “coup” des Twin Towers: l’artiste se livrera à une marche sur un câble incliné dressé entre le toit de cette maison et la colline d’en face. “Ca sera comme une apparition dans l’air”, glisse-t-il.
Pour cette “apparition” d’une douzaine de minutes, trois mois de travail ont été nécessaires, entre les repérages sur place, la préparation du câble et l’entrainement. Cette préparation chronophage et minutieuse parait aller à l’encontre de l’esprit libre de l’artiste indomptable, qui ne semble pas être du genre à se laisser contraindre. L’intéressé acquiesce. “Je suis un esprit libre dans mes créations, mais je suis obsédé par les détails, avoue-t-il. Si j’oublie une pièce irremplaçable de mon équipement, je ne peux pas faire le spectacle. Si je ne prépare pas le câble correctement, je peux perdre la vie. Il n’y a pas de marge d’erreur possible“. D’ailleurs, contrairement à ce que laissent penser ses performances les plus extrêmes, il assure ne prendre “aucun risque“: “La vie est quelque chose de trop précieux à mon goût. Je ne marcherai pas sur un câble qui n’est pas sûr”.
Depuis ses débuts en autodidacte quand il était ado, Philippe Petit n’est tombé qu’une seule fois: c’était en 1975 dans un cirque pendant une répétition – ce qui ne compte pas, aime-t-il rappeler. Après son exploit des Tours Jumelles, qui lui a valu d’être condamné à faire un spectacle gratuit pour les enfants à Central Park, il a fait sa vie au pays de l’Oncle Sam, où il a rapidement reçu de nombreuses propositions pour exercer son art. Depuis les Twin Towers, il a écrit onze livres, donné d’innombrables spectacles et conférences, posé son câble dans des sites historiques (Chutes du Niagara, Grand Central, Lincoln Center, Tour Eiffel, Vallée du Hinnom…), fait l’objet d’un documentaire oscarisé (“Man on Wire”) et d’un film sorti en 2015, “The Walk”, avec Joseph Gordon-Levitt dans son rôle. Après une tentative de traversée illégale à l’intérieur de Saint John The Divine, il est devenu il y a quarante ans artiste en résidence au sein de la cathédrale, où il a monté une dizaine de spectacles aériens. Elle doit lui consacrer une grande retrospective sur son travail à partir de septembre 2020.
La France, regrette-t-il, ne lui a pas donné le même amour. Depuis sa marche sur un câble incliné entre la Place du Trocadéro et le deuxième étage de la Tour Eiffel devant 250.000 personnes pour le bi-centenaire de la Déclaration des Droits de l’Homme en 1989, il n’a “rien eu de sérieux” de la part de son pays d’origine. “On dirait que les Français regardent tous les dix centimes qu’il vont dépenser et pas le million qu’ils vont gagner en vous recrutant. Dans mon esprit, aucun projet français ne va aller jusqu’au bout, dit-il. J’aimerais revenir. Si l’on m’invite pour un projet solide et beau, j’irai et peut-être que je resterai. J’adore la nourriture, les paysages, Paris. Mais j’ai perdu foi en la France“.
Il concède cependant avoir été impressionné par l’élan de générosité qui a suivi le récent incendie de Notre-Dame, dont il a relié les tours en toute illégalité en 1971. “On m’a écrit pour me dire que ma cathédrale était en feu, comme pour les Tours Jumelles après le 11-Septembre. C’était un désastre mais je salue la manière dont les Français se sont mobilisés“.
À presque 70 ans, qu’il aura en août, Philippe Petit n’a pas peur du temps qui passe. “J’ai du mépris pour la notion d’âge”. Il continue de progresser, d’apprendre de nouvelles techniques et entend bien continuer jusqu’à ce que ses jambes ne puissent plus le porter. “On devrait toujours porter la beauté et l’innocence de la jeunesse. Quand on vieillit, on perd sa joie de vivre“. Une innocence qui l’a conduit à refuser tous les juteux contrats publicitaires qu’on lui a tendus après sa traversée des Tours Jumelles. “J’aurais pu être millionnaire aujourd’hui, mais je n’ai jamais voulu utiliser mon art comme produit commercial”, dit-il.
Il fourmille de projets. Une grande tournée asiatique est en préparation et, le 31 août, il invitera le public à découvrir la manière dont il s’entraine lors d’une performance exceptionnelle à Tannersville sur les coulisses de son art. “J’ai beaucoup appris de ma vie professionnelle et de ma vie tout court. Je me sens bien mieux sur un câble aujourd’hui qu’à 18 ans, quand je devais prouver des choses et que j’étais arrogant”. Il se ravise: “Enfin, je suis toujours arrogant”.