Alors qu’il ne dispose que de rares vêtements et de 800 dollars sur son compte et qu’il vient de débarquer à Los Angeles, l’Anglais Peter Fetterman, producteur de films en herbe, dépense la moitié de ses économies pour acheter une photo, dont il ne connait pas l’auteur, à l’une de ses connaissances.
Nous sommes à la fin des années 80 et Peter Fetterman vient d’acquérir “Srinagar, Kashmir”(1948), du Français Henri Cartier-Bresson. “Cette photographie a changé ma vie, je dois tout à cet artiste”, insiste le collectionneur, dont la galerie est installée à Bergamot Station à Santa Monica.
Ce Londonien a décidé de mettre en vente sa collection de 120 clichés d’Henri Cartier-Bresson, la plus large collection privée au monde (en dehors de la fondation à Paris). Elle sera mise aux enchères chez Phillips à New York le mardi 12 décembre, après avoir été présentée au public du mardi 5 au lundi 11 décembre.
Cette vente, c’est “30 années d’obsession, de collecte folle”. “Je suis un homme malade”, ironise Peter Fetterman, qui considère les photographies comme “un testament de savoir, des oeuvres éternelles”. Car depuis son premier achat, il n’a eu de cesse de chasser les oeuvres de l’artiste français, enivré par les émotions qu’elles lui procurent. “C’est une bonne obsession. J’ai appris beaucoup grâce à lui, c’était un photographe global, qui a voyagé et m’a fait découvrir l’Inde et la Chine”, argue le passionné qui considère Henri Cartier-Bresson comme “le meilleur photographe classique du XXe siècle”, “le Rembrandt de la photographie”.
La consécration fut leur rencontre, via les contacts d’un agent new-yorkais, dans l’appartement des Cartier-Bresson, rue Rivoli à Paris, en 1990. “J’avais peur de sonner à sa porte”, se rappelle Peter Fetterman, qui n’avait alors que 27 ans. Et pourtant, ce rendez-vous de plus de deux heures avec cet homme qui lui a rappelé “Monsieur Hulot” de Jacques Tati, a changé sa perspective. “J’étais quelqu’un avant de rencontrer ce mentor, et une autre personne plus emphatique, après.” Une relation s’est tissée entre les deux hommes, Peter Fetterman farfouillant dans les négatifs du photographe qui lui imprimait certains clichés sur demande.
Ainsi, 30% des oeuvres présentées à New York sont inconnues du grand public, et issues de séries très limitées (trois exemplaires). C’est notamment le cas des photographies inédites du ballet moscovite de Bolshoi, qui évoquent les ballerines d’Edgar Degas à Peter Fetterman.
Comment une photo achetée 400 dollars peut-elle changer une vie ? A L.A, “où on peut se réinventer”, il décide de laisser de côté le cinéma, pour lequel l’omniprésence de l’argent ne lui a apporté que des désillusions, pour l’art. Peter Fetterman commence par vendre les premières photographies qu’il a achetées dans le coffre de sa voiture. Avec l’argent gagné, il en rachète plus. Ces deals continuent jusqu’à ce qu’il se fasse repérer par le propriétaire de Bergamot Station. Aujourd’hui, propriétaire de sa galerie éponyme depuis 15 ans, le collectionneur possède plus de 8.000 oeuvres sur papier glacé.
Peter Fetterman a décidé de vendre sa collection d’Henri Cartier-Bresson pour transmettre cette expérience, et soutenir la nouvelle génération de photographes, comme le français Patrick Taberna qu’il a récemment rencontré. “Cette démarche aurait reçu l’approbation du photographe et de son incroyable femme, c’est en accord avec leur esprit”, assure celui qui va tout de même conserver quelques oeuvres dédicacées par l’artiste français. “Je dois laisser partir cette partie de mon corps, de mon esprit. J’espère que ce sera aussi fort pour les futurs acheteurs.”