Pénélope Bagieu est parisienne. Telle que les Américains la fantasment : classe, directe, qui sait ce qu’elle veut et le fait savoir.
La dessinatrice vit depuis deux ans à Brooklyn. C’est là que nous la rencontrons, dans un coffee shop. Elle s’est installée presque sur un coup de tête. “C’était le moment pour moi de bouger, d’aller voir ailleurs. Je suis venue en vacances à New York, explique-t-elle. Et ça m’a beaucoup plu” .
C’est son personnage, “Joséphine” , qui a d’abord fait connaître Pénélope Bagieu. Les trentenaires françaises ont quasiment toutes lu ses péripéties, et beaucoup sont devenues fans, du personnage et de sa créatrice. Les hommes, eux, se sont rendus compte qu’une BD écrite par une femme pouvait être drôle.
Après “Joséphine” , Pénélope Bagieu n’a pas chômé. “Cadavre exquis” , “La Page Blanche” , “Stars of the Stars” , “California Dreamin'”, et récemment “Les Culottées” . Sans compter tous les dessins pour les journaux ou magazines et les collaborations.
Pénélope Bagieu aime les odeurs de Paris, les cafés de sa ville, les terrasses de sa ville, le bordel de sa ville. Mais à New York elle aime la civilité, le sens de la communauté, l’entraide. “En France, on aime bien se moquer des Américains, gras et bêtes, mais c’est loin d’être ça. Ici il y a plein de belles choses et de belles personnes” . C’est d’ailleurs à New York qu’elle a écrit ses derniers albums. “C’est une ville qui me plaît. Très graphique, fascinante. Je ne me lasse pas des escaliers de service, des immeubles en briques. Et je suis toujours béate devant la vue quand je passe en métro sur le pont de Manhattan” .
Un jour peut-être Pénélope Bagieu écrira sur Hillary Clinton: “Même si elle n’a pas été élue, elle a montré que c’était possible. Dans la liste des métiers qu’écriront les petites filles, il y aura entre vétérinaire et acrobate: présidente des Etats-Unis. Elle a mis le pied dans la porte pour que plein de filles et de femmes s’engouffrent derrière elle. Elle a changé la donne pour toute une génération” .
En février, “California Dreamin'” sortira aux Etats-Unis. Un processus long explique-t-elle, pour un livre déjà paru en France. Car il ne s’agit pas seulement de traduire les textes, il y a aussi tout un travail de ciblage du lecteur à faire avec l’éditeur américain. “Ici il faut définir son public, réfléchir en amont pour s’avoir à qui on veut s’adresser. Par exemple un langage cru ou la nudité ferment les portes de la littérature jeunesse” , explique la dessinatrice.
Pour “California Dreamin'” , malgré quelques gros mots de l’héroïne, Pénélope Bagieu est passée entre les gouttes. Mieux, elle a même été sélectionnée par la guilde américaine des bibliothécaires jeunesse. Pas sûr que ce sera le cas pour “Les Culottées” , deux tomes dédiés à des portraits de femmes, à des époques, dans des milieux et des situations différentes. Il doit lui aussi sortir aux Etats-Unis. “Par exemple dans le tome 1, on voit un sein de Joséphine Baker. Ça ne passera pas aux Etats-Unis à moins de se couper d’une grande partie du lectorat. Je pense que pour la version américaine, elle aura un peu de strass dessus pour masquer la nudité” . Une petite concession sans gravité pour la dessinatrice. Mais quelle décision prendra-t-elle pour Thérèse Clerc, la militante féministe, avorteuse clandestine du tome 2 ? “Couvrir des seins d’accord, mais je ne veux pas édulcorer, changer mon propos, ce serait grave” .
Elle conçoit son séjour aux Etats-Unis comme une longue parenthèse, avec “la certitude d’un retour à la fin” . “J’avoue que j’ai du mal à couper” , raconte celle qui écoute France Inter tous les jours en podcast. Ce lien viscéral à Paris et la France lui a valu, comme à tous les Français vivant à l’étranger, une douleur profonde au moment des attentats. “Le 13 novembre, pour nous, c’était la fin de l’après-midi, il faisait déjà nuit. Quand j’ai su ce qui se passait en France mais qu’ici, la vie continuait comme d’habitude, j’ai eu envie d’arrêter les gens dans la rue, de les secouer et leur dire: il y a des gens qui meurent chez moi!” .
Pénélope Bagieu n’a rien oublié de ce sentiment d’impuissance. “D’un côté, on avait cette chance arrogante d’être épargné et de l’autre l’envie d’être en France, avec la famille et les amis” . La peine, la colère, le deuil se sont traduits chez elle par une BD pour une édition spéciale du Monde des Livres.
La dessinatrice n’a pas encore puisé dans son expérience américaine pour alimenter ses BD, mais ce ne sont pas les idées qui manquent. “Un moment j’ai pensé écrire sur la Food Coop (de Park Slope, ndr) parce que c’est une expérience assez unique. Ou sur le planning familial américain qui fonctionne comme une ONG. J’ai des tas d’idées mais ça tient plus du documentaire” .