Les puristes de la danse grognent dès qu’un spectacle affiche danse et vidéo. Que peut en effet apporter à la danse, un art déjà hautement visuel, la projection d’images supplémentaires? Pour le Français Pascal Rioult, la réponse est beaucoup. Dans ses deux dernières créations, intitulées Shadow Box et City, d’une durée d’environ quinze minutes chacune, des images vidéos sont projetées derrière et sur les danseurs en mouvement.
Le sympathique homme se défend néanmoins de participer à une mode, celle du couplage de la danse avec d’autres formes d’art. « C’est une expérience ponctuelle pour moi, je voulais essayer quelque chose de différent, corrige-t-il. Je continuerai encore pendant un an et après on verra. » Trois autres pièces sont au programme de cette semaine Rioult au Joyce Theater : un « revival » de Harvest (1992), le fameux Boléro (2002) et la création de l’an dernier, The Great Mass (2009).
Ancien danseur principal dans la compagnie Martha Graham, Pascal Rioult, originaire de Normandie, a commencé d’élaborer son propre langage chorégraphique en même qu’il créait sa compagnie RIOULT en 94. Les deux nouvelles créations font partie d’une série de quatre pièces, que le chorégraphe a imaginé sur des compositions de Jean-Sébastien Bach et dont la première, Views of the fleeting worl, a été présentée en 2008. La dernière pièce de ce projet Bach verra le jour l’an prochain. Rien ne change donc du côté de la musique pour ce spécialiste de l’alliance entre danse moderne et musique classique qui a choisi ici, après Ravel, Stravinsky et Mozart, de s’attaquer au grand nom de la période baroque. “S’attaquer” est bien le terme, si l’on en croit la difficulté de l’affaire. « Chorégraphier sur du Bach a été périlleux, car cette musique est la fois simple et complexe dans son organisation,“résume-t-il, et telle devait être également la danse. » La partition musicale sera jouée sur scène par deux jeunes musiciens de la Julliard School.
Le second challenge pour Pascal Rioult a été d’insérer dans les deux créations présentées au Joyce, Shadow Box et City, des images vidéos à la façon d’un décor animé. « J’aime les décors, mais je veille à toujours les intégrer à la danse, ils ne sont jamais là pour être seulement des décors, mais pour amplifier l’idée derrière une chorégraphie. » Ce sont le vidéaste Brian Beasley et le décorateur Harry Feiner, avec lequel il avait collaboré en 2008 pour Views of the Fleeting World, qui ont planché sur le projet. Dans City, qui se veut un voyage à travers New York, à la façon d’une caméra s’avançant du grand angle au plus près des individus, « on commence avec une projection assez globale de l’architecture new-yorkaise, puis les images se distordent, se renversent », symboles de chaque individualité.
Pour Shadow Box, Brian Beasley a commencé par filmer les quatre danseurs, puis les a transformés sur ordinateur en images animées. Le jour du spectacle, elles seront projetées en ombre sur trois panneaux autour des danseurs physiques. Afin de ne pas saturer l’espace visuel du spectateur, le chorégraphe a cherché à balancer danse et vidéo : ainsi, dans City, qui comprend une danse plutôt cadencée en rappel du rythme frénétique de la ville, la vidéo a été voulue évolutive. Dans Shadow Box, c’est l’inverse, la danse étant plutôt abstraite avec peu de mouvements, il a été possible de complexifier le jeu d’images, avec pour mission de « stimuler l’imagination du spectateur.»
Du fait de « coupes » dans le budget, le chorégraphe a dû se séparer pour ces deux pièces de deux de ses 10 danseurs, une situation qu’il espère « provisoire». Ce qui l’a poussé à introduire de la vidéo dans cette série de pièces sur Bach, il ne saurait l’expliquer clairement. Une impulsion d’artiste sans doute. Toute sa démarche a été pensée afin d’aider la perception du spectateur. Et les contempteurs que ce genre d’alliage horripile, reconnaîtront au moins que le spectateur a été stimulé.