Sur une toile carrée, un portrait esquissé brosse les contours d’un homme en noir avec une collerette blanche. Proposé aux enchères par Christie’s à New York du 23 au 25 octobre, Le Portrait d’Edmond de Belamy n’est pas une peinture comme les autres : elle a été réalisée par un ordinateur. Ou presque.
Car derrière l’algorithme qui sert de signature au tableau se cache le collectif d’artistes français Obvious. Il y un an, Hugo Caselles-Dupré, Pierre Fautrel et Gauthier Vernier, trois amis d’enfance, ont découvert les « generative adversarial network » (GAN) : « des algorithmes qui analysent un très grand nombre d’images et arrivent à recréer une nouvelle image à partir de ces codes », explique Gauthier Vernier.
En l’occurrence, il a fallu 15.000 tableaux classiques pour produire le portrait d’Edmond de Belamy et dix autres membres de la famille fictive Belamy, nommée en hommage à Ian Goodfellow, inventeur des GAN.
« On a été frappés par le parallèle qu’on pouvait faire avec la créativité humaine », ajoute le co-fondateur d’Obvious. « Si je vous demande de dessiner une maison, vous allez réfléchir à tous les exemples de maisons que vous avez déjà vus dans votre vie et vous allez la poser sur le papier. C’est exactement la démarche de l’algorithme », ajoute Pierre Fautrel.
Les trois artistes colocataires qui travaillent depuis leur appartement dans le quartier Gare du Nord à Paris ont mis six mois à glaner les toiles modèles pour nourrir la machine. A l’issue de « deux ou trois jours de calculs en continu », estime Gauthier Vernier, l’ordinateur a finalement proposé plusieurs résultats, parmi lesquels le collectif a sélectionné les plus pertinents.
« Ce n’est pas comme si l’intelligence artificielle faisait des œuvres toute seule, nuance Pierre Fautrel. C’est une œuvre faite par un collectif d’artistes. La création, c’est-à-dire le moment où l’artiste pose le pinceau sur la toile, est assurée par la machine ».
Après s’être heurtés à la réticence des galeries d’art, les trois artistes de 25 ans ont attiré l’attention du collectionneur avant-gardiste Nicolas Laugero-Lasserre, qui a acheté leur première œuvre pour près de 10.000 euros en février 2018. « Cette première vente nous a vraiment propulsés sur le devant de la scène », témoigne Pierre Fautrel.
Si bien que le collectif a piqué la curiosité de la prestigieuse maison d’enchères Christie’s. Richard Lloyd, à la tête du département international « impressions et divers » en charge de la vente, commente : « Nous avons choisi Obvious pour le procédé qu’ils utilisent. Ils cherchent à limiter l’intervention humaine autant que possible, donc le résultat reflète une forme “puriste” de créativité exprimée par la machine. »
Le prix de l’œuvre est estimé entre 7.000 et 10.000 dollars par Christie’s. Reste à savoir si le marché de l’art sera réceptif. Le collectif, qui sera présent à New York lors des enchères, espère attirer des collectionneurs classiques, mais aussi des mécènes qui ont une affinité particulière avec la technologie, « comme les entrepreneurs de la Silicon Valley, par exemple », imagine Pierre Fautrel.