Je pourrais vous dire que j’ai terminé 15 minutes plus tard que mon objectif, que j’ai beaucoup souffert après le kilomètre 35, que j’ai eu du mal à monter les escaliers pour rentrer chez moi. Mais non, je veux vous dire que je suis heureux.
Comment décrire un million de personnes qui crient votre nom, une ville qui, à la manière d’une vieille amante, sait soudain vous rappeler pourquoi vous l’aimez tant ? Ce n’était pas un marathon, c’était une parade, une lettre d’amour !
Tout commence avec Spike Lee et Bill de Blazio, Frank Sinatra et le pont Verrazano. J’étais avec 50.000 amis sur la ligne de départ, avant le majestueux Verrazano entre Staten Island et Brooklyn, prêt à conquérir la ville. Il est un peu plus de 9 heures du matin. Il fait froid, il y a du vent. Je suis ému, impatient d’en découdre avec le bitume new-yorkais. Malgré mes efforts pour les retenir, je finis par verser une petite larme en écoutant “New York New York”.
Quand le top-départ est donné à 9:50, on se sent indestructible. Les hélicoptères nous suivent. Rapidement je comprends que je ne suis pas dans un bon jour. Mon rythme cardiaque est un peu haut, je transpire beaucoup, je me dis que ça va être une longue journée.
On arrive à Brooklyn. Ah Brooklyn! La foule est si dense, les spectateurs si enthousiastes que je ne peux même plus entendre les consignes de mon guide. Mais on s’en fiche, je souris, je vole. Cette hystérie collective se poursuit jusque dans le Queens. On traverse ce rêve, puis on arrive au pont Queensboro, qui relie le Queens et Manhattan.
Aïe.
Ça monte bien, je suis dans le rouge, je le sens venir, je ralentis, mais rien à faire. Matt Leibman, l’un de mes trois guides, commence à gémir. Au moins, je ne suis pas le seul en enfer. Il n’y a pas un bruit, simplement cette cruelle montée. Je me dis quand même que la vue doit être magnifique.
On arrive enfin à Manhattan, l’hystérie reprend. J’ai l’impression de rentrer dans un stade de football. Quel contraste formidable après le silence du pont. Je m’y attendais, mais je suis tout de même surpris. J’ai la chair de poule. Cela dit, je sens bien que mes jambes sont lourdes.
Je commence à lever le pied, on arrive au kilomètre 30, brusquement je suis affamé. Pourtant, je me suis bien alimenté jusque-là (bananes, Gatorade, gels énergétiques et d’autres petits bonheurs de sportif). Je panique. Je me dis que marcher serait quand même plus agréable. Mais vous commencez à me connaitre, ce n’est pas mon genre. Alors je m’empiffre. Je prends tout ce que mes guides ont sur eux, des barres, des gels… Après environ 20 minutes, ça va mieux. Mais que c’était dur !
« Come on, let’s go home Charles »
La machine repart enfin, mais les dégâts sont faits, je ne terminerai pas en 3h40, mon objectif. C’est là que ce marathon est vraiment magique. Dans une course traditionnelle, j’aurais eu des pensées négatives, j’aurais commencé à refaire la course mentalement, je serais mécontent. Mais je décide de lever la tête, je pense à mes parents qui me suivent sur le GPS, à ma femme qui m’attend sur la ligne d’arrivée. Je murmure: « j’arrive ! »
On passe rapidement dans le Bronx, puis c’est la 5eme Avenue, Matt reprend confiance et me dit : « Come on, let’s go home Charles ».
Je sais qu’un groupe d’amis m’attend sur la 110eme rue, je veux faire bonne figure. Le soleil fait son apparition, quelle journée parfaite ! Je lance des bisous à la foule, je profite de chaque instant.
J’arrive devant mes amis, l’adrénaline me fait accélérer, je suis extatique. C’est tellement gratifiant de savoir que ces gens sont là depuis peut-être plusieurs heures, simplement pour quelques secondes d’une interaction indescriptible.
Je n’avais jamais remarqué que la 5eme Avenue étais si pentue, rapidement je suis de nouveau dans le dur. Les guides qui m’ouvrent la route, Dustin Abanto et Stefan Irion, décident de chauffer la foule, ils crient : « Voici Charles, c’est son premier marathon, il a besoin de vous maintenant ! » Le public est adorable, une vague d’encouragements me précède, je grogne, je donne tout.
On entre dans Central Park, je retrouve mon terrain d’entrainement, j’ai l’impression d’être le propriétaire des lieux. Qu’elles font mal ces dernières bosses, je suis persuadé que mon genou droit va se disloquer.
Mais heureusement j’entends le micro du speaker, Stefan, qui faisait son quatrième marathon en trois mois, me dit : « Charles, profites de cet instant, tu l’as fait, tu vas terminer ton premier marathon ! » Au loin, je reconnais la voix de ma femme criant mon nom, comme je suis fier. Merci à vous tous qui m’avez suivi, encouragé. On se donne rendez-vous l’an prochain. Je participerai au mythique Boston Marathon en avril, puis je serai de nouveau sur la ligne de départ du marathon de New York.