Quand on partage son placard entre vêtements d’hiver et vêtements d’été, les noms des panoplies exposées dans l’exposition « Poiret King of Fashion » ont de quoi faire rêver. « Manteau d’opéra », « manteau de voiture »… Dans son « jean du vendredi », on salive devant les vitrines où sont exposées quelques belles pièces de la garde-robe de Denise Poiret.
Le Costume Institute du Metropolitan Museum en a acheté 26 ensembles mis en vente aux enchères en 2005 (et complétés par des prêts de musées) par la petite-fille de Denise. Ah cela ne devait pas être désagréable d’être l’épouse et la muse du couturier, se dit-on devant des petits chaussons perlés (pour le bal…), ses robes coupées dans les matières plus audacieuses et ses jolis déshabillés.
L’ensemble de l’exposition consacrée au couturier pionnier du début du
20ème siècle est étonnement actuel. Pas de taille soulignée, pas de vêtement engonçant, pas de seins remontés mais des ensembles flottants, des découpes géométriques et des fermetures sur les côtés comme dans les meilleurs défilés des années 2000. En 1906, Poiret a débarrassé la femme de ses corsets et baleines (avant que Jean-Paul Gautier ne remette la main dessus) et trace ses robes avec de longues lignes droites qui mettent en valeur le port de tête et les épaules.
Si les formes sont aussi étonnantes, de la robe abat-jour aux grands cols drapés, c’est que le couturier, surprise pour un couturier, ne sait justement pas coudre. Il travaille plutôt comme un designer, qui assemble les pans de tissus, architecte de nouvelles silhouettes.
Ses influences sont cosmopolites : déshabillés et tuniques grecques, grands manteaux kimonos écrins. Impressionné par le succès des Ballets russes dans Shéhérazade, il en reprend l’esthétique orientale. A côté d’une vitrine consacrée à des robes des milles et une nuit, le texte de l’exposition explique que Paul Poiret, surnommé « le Pacha de Paris » pour son orientalisme avait, en 1911, organisé une grande soirée « les mille et seconde nuits ». Ceux qui se présentaient à la porte sans avoir respecté le thème de la soirée se trouvaient rhabillés par le couturier qui leur prêtait, entre autres, des sarouels, appelés « pantalons de harem ».
L’exposition est aussi surprenante pour ses tissus (du crêpe au velours de soie) que par la richesse des grands aplats de couleurs. Une vitrine aux brûlantes teintes automnales, des pourpres plus loin, un manteau imprimé de motifs psychédéliques noirs et blancs… Poiret est aussi aux limites de la mode et de l’expression artistique collaborent avec le peintre fauve Raul Dufy, Delaunay et Matisse. Le photographe de ses modèles est encore inconnu. Son nom : Man Ray.
Poiret innove aussi en matière de promotion, inventant le marketing couture avant l’heure. D’une ligne d’articles de maison à des flacons de parfum, il comprend dès le début du 20ème siècle qu’une signature couture peut se décliner sur d’autres articles et faire exister une marque loin des vêtements de départ. Il assure aussi sa visibilité en ayant recours aux people de l’époque, comme l’actrice Sarah Bernhardt à ses débuts. D’autres effrontées, comme la danseuse Isadora Dunca, viendront ensuite s’habiller chez lui.
L’exposition se termine sur une robe qui n’est pas de Poiret. Une robe en soie toute noire, élégante mais un peu cafard, genre base de garde robe Banana Republic. Elle est signée de Coco Chanel, qui après la première guerre mondiale, a compris que les femmes souhaitaient des vêtements fonctionnels. L’idée faisait hurler Poiret. Cette dernière robe est noire, tout comme celle que portait Coco Chanel le jour où les deux couturiers se seraient croisés. « Pour qui portez vous le deuil, madame ? » lui demande Poiret. « Pour vous Monsieur » lui aurait répondu Coco Chanel, pressentant sa chute. On ne sait pas si l’anecdote est vraie. Mais elle pourrait l’être, racontée sur les murs de l’exposition. Largué par la mode androgyne, Poiret plie boutique en 1929 et mourra dans la pauvreté en 1944.
C’est le couturier Azzedine Alaïa qui, le premier, sort Poiret de l’oubli en lui consacrant une rétrospective à Paris. La grande exposition du Met est parrainée par Balenciaga. Son directeur artistique Nicolas Ghesquière, en a signé un message d’introduction. On comprend l’hommage. Nous, on sort de là, inspirées, enchantées, regrettant juste l’absence de cabine d’essayage.
« Poiret King of Fashion ».
– Jusqu’au 5 août au Metropolitan Museum
– Tél. : 212 535 77 10
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L’exposition est vraiment extraordinaire. la présentation des robes est remarquable grâce aux tentures peintes spécialement pour l’exposition qui évoquent les grands noms de l’époque Bakst, Lepape, Dufy… Au-delà de la mise en scène, il faut surtout saluer le travail admirable des conservateurs sur la construction des vetements qui rend hommage à la modernité de Poiret. Allant au-delà des tradionnels abandon du corset et goût de l’Orient associés à Poiret, Andrew Bolton et Harold Koda mettent en lumière le travail de coupe de ce couturier révolutionnaire à l’aide d’animations très réussies sur la genèse de deux robes. Cette première grande exposition depuis celle de Paris en 1986 valait la peine d’attendre!
Pour les amateurs de Poiret, le livre édité par le Met est un must have, tout comme le livre de Christie Mayer Lefkowith sur les Parfums du couturier. Pour les collectionneurs et les curieux, la librairie Diktats publie un catalogue en édition limitée sur sa collection Poiret http://www.diktats.com